BRACERS Record Detail for 53206

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Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
BR
Sender(s)
Couturat, Louis
Date
1903/09/20
Form of letter
ALS(X)
Pieces
2
Transcription

LOUIS COUTURAT TO BR, 20 SEPT. 1903
BRACERS 53206. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #109
Edited by A.-F. Schmid


Villa Molia, Salies de Béarn
(Basses Pyrénées)
le 20 septembre 1903.

Cher Monsieur,

Il y a juste 3 mois que vous m’avez écrit, et je me reproche de ne pas vous avoir répondu plus tôt. Ce n’est pourtant pas faute de penser à vous ni de m’occuper de vous, car j’ai emporté votre livre en vacances pour le lire à loisir. Je l’ai ainsi promené successivement au bord de la mer (à Veules), dans le Jura à Arbois),a puis dans les Pyrénées, et j’espère l’achever à Biarritz. C’est une lecture de longue haleine, mais parce que c’est un travail de longue haleine aussi. Plus j’avance, plus j’admire le nombre et l’énormité des problèmes traités, l’originalité des idées, la force et la profondeur de pensée dont ce livre témoigne. Aussi faut-il beaucoup de temps pour digérer tant de notions nouvelles, qui bouleversent toutes les conceptions traditionnelles. C’est un livre nourrissant, qu’il faut s’assimiler entièrement. C’est vous dire avec quels éloges j’en rendrai compte. Mais je ne me sens pas encore capable de le juger ; je constate seulement que sur bien des points j’étais d’avance instinctivement d’accord avec vous ; vous avez bien voulu le noter ça et là, et je suis fier, je l’avoue, d’avoir entrevu quelques-unes des théories nouvelles que vous nous exposez dans un ensemble et dans un ordre systématiques. Mon impression première subsiste : c’est le manque d’évidence intuitive. Peut-être est-ce un défaut de mon esprit, qui demande de l’intuition là où il s’agit de logique pure ; peut-être aussi est-ce le manque de tout symbolisme et de tout calcul ; car le calcul rend intuitives les vérités et les démonstrations logiques. A vrai dire, la démonstration formelle de la plupart de vos thèses se trouve dans le vol. II, et nous sommes, en attendant, obligés de vous croire sur parole ; je vous fais volontiers crédit, mais, en attendant, je vous suis un peu en aveugle.

Pour aujourd’hui, je me bornerai à quelques observations verbales. Pourquoi employez-vous le mot série (Reihe) plutôt que le mot suite (Folge) qui paraît mieux convenir ? L’idée de suite est purement ordinale, celle de série (en math. du moins) implique l’addition.

— Vous auriez pu éviter d’employer le mot continuité, même provisoirement, dans le sens de compact. Cela peut troubler quelques lecteurs. (Entre nous, je doute que vous ayez beaucoup de lecteurs, au moins parmi les philosophes. Il faut connaître la Logique symbolique pour pouvoir vous comprendre et vous suivre ; or combien la connaissent ?)

— J’ai été un instant choqué de ce paradoxe : qu’il n’y a d’ordre qu’entre 3 termes au moins, et d’ordre cyclique qu’entre 4 termes (p. 199). J’ai vu ensuite, par vos définitions de mots, que c’était là un paradoxe purement verbal. Mais vous auriez pu éviter de heurter l’usage et le sens commun : il y a, au sens vulgaire, de l’ordre entre 2 termes, suivant que l’un ou l’autre est le premier ; et il y a un ordre cyclique entre 3 termes A, B, C, car l’ordre A B C A B C ... diffère de l’ordre A C B A C B ... Tout ce que vous dites des rapports de ces deux ordres me paraît ingénieux et juste. C’est une des parties les plus neuves et les plus fécondes du livre.

— Votre critique de Dedekind me paraît très juste.

— Vous me disiez dans votre dernière lettre, sur la politique anglaise, quelques mots qui m’ont fait grand plaisir, car ils m’ont montré que vous aviez changé d’opinion depuis cette malheureuse guerre du Transvaal : et je vous en félicite sincèrement. Vous devez vous réjouir aujourd’hui de la chute de Chamberlain, qui a été le mauvais génie de l’Angleterre depuis 4 ans. Sans doute, il tombe, non à cause de la guerre, mais à cause de son protectionnisme. Mais il y a tout de même une logique et une justice immanentes dans son cas : car c’est l’impérialisme qu’il représentait, et qui, j’espère, succombe avec lui. Je vois avec plaisir les Anglais revenir à des idées plus saines et plus humaines, et s’établir un courant de sympathie internationale favorable aux idées de paix et d’arbitrage. J’espère que ce même courant sera favorable aussi à l’idée de la langue internationale, et je commence même à en constater les effets inespérés.

— Nous espérons que la santé de Madame Russell est complètement rétablie, et que vous avez passé de bonnes vacances. Veuillez lui présenter mes hommages avec les meilleurs souvenirs de ma femme, et me croire

Votre cordialement dévoué
Louis Couturat

Notes

aSic (la parenthèse n’a pas été ouverte)

Publication
Schmid, Russell—Couturat 1: #109
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53206
Record created
Aug 23, 1993
Record last modified
Nov 26, 2025
Created/last modified by
blackwk