BRACERS Record Detail for 53151

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Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
Couturat, Louis
Sender(s)
BR
Date
1900/03/24
Form of letter
ALS(X)
Pieces
4
BR's address code (if sender)
MLF
Notes and topics

Finishing Leibniz. More on war and empire.

Transcription

BR TO LOUIS COUTURAT, 24 MAR. 1900
BRACERS 53151. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #54
Edited by A.-F. Schmid


The Millhangar,
Fernhurst,
Haslemere.a
le 24 mars 1900.

Cher Monsieur

A présent je suis de retour de Cambridge, et je trouve enfin le temps de vous écrire. J’ai été très occupé par un livre sur Leibniz que je viens de finir. On n’a pas encore commencé l’imprimerie, mais il sera publié par l’université de Cambridge, comme mon autre livre. Je ne comprends pas pourquoi les épreuves que je vous ai renvoyées ne vous sont pas parvenues, mais je n’ai rien trouvé à corriger. Il me paraît que M. Gauthier-Villars est très excellent.

Pour revenir à la politique, je vois que mes différends avec vous sont vraiementb d’ordre philosophique. Je ne suis pas un partisan aveugle de l’Angleterre — au contraire, j’ai toujours regretté la défaite de Napoléon, et pour passer à des affaires plus récentes, j’ai été du côté de l’Amérique dans l’affaire Venezuela. Mais mes principes généralesc différent des vôtres4. En politique je suis utilitaire, et je ne m’aurais pas attendu à trouver, chez un philosophe, cette opposition que vous faîtes entre l’intérêt et la justice. Il me paraît qu’il y a les intérêts plus grands, et les intérêts plus petits ; et que la justice est toujours du côté de l’intérêt plus grand, ou, pour parler absolument, du côté de l’intérêt du genre humain. Donc je ne désire nullement un état juridique entre les nations, qui, à ce qu’il me semble, arrêterait tout progrès. La loi est très souvent du mauvais côté. Si on avait suivi la loi, la Hollande serait encore sujette à l’Espagne, et l’Amérique entière serait partagéd entre l’Espagne et la Hollande. L’unité de l’Allemagne et de l’Italie aurait été impossible et danse les états unis,f les états du Sud seraient devenus indépendants et auraient gardé l’esclavage. En ce qui concerne la Turquie, on a réussi à maintenir un état juridique, et je trouve que c’est ceci qui a empêché la Russie de conquérir Constantinople, qu’elle devrait posséder. En général, il me semble que les grands empires valent mieux que les petits, parce qu’il y a moins de frontières, que les guerres ne sont pas si désastreuses ni si fréquentes, et qu’on a plus de chance d’habiles gouverneurs. Et en tout cas, la consolidation des frontières diminue la chance des guerres. Pour cette raison, j’aimerais voir toute l’Asie (y compris les Indes) appartenir à la Russie, toute l’Afrique à l’Angleterre, et toute l’Amérique aux Etats Unis. Alors on pourrait espérer partout une paix durable et un gouvernement civilisé.

Je ne comprends pas votre maxime, que la fin ne justifie pas les moyens. Des moyens comme telles,g j’aurais supposé, ne pourraienth se justifier que par la fin. Et si vous maintenez sérieusement cette maxime, il faudra abolir l’emprisonnement des criminellesi et la détention des fous, et les impôts et le service militaire et quasi le gouvernement tout entier. N’est-il pas évident, du point de vue théorique, qu’on doit parfois souffrir un petit mal pour acquérir un grand bien ?

J’ai écrit tout ceci pour vous prouver que je ne suis pas, comme vous paraissez le croire, un patriote naïvej et un Jingo. J’approuve dans le passé et chez les autres nations les guerres semblables à la guerre actuelle. Telles sont, par example,k la guerre entre les Etats Unis et la Méxique,l et la guerre civile dans les Etats Unis. Telles sont les guerres de la Russie dans le centre de l’Asie, ou les guerres de Pierre le Grand contre la Turquie et la Perse. Je trouve bon que la nation la plus civilisé triomphe, et que le nombre des états diminue. Quant aux droits, à la justice, il faut avouer que je ne leur donne pas de poids dans les affaires internationales. Les guerres ressemblent aux révolutions — on acquiert un bien que la loi ne permetteraitm pas.

Je vous prie de pardonner cette longue disquisition,n et de me dire la date quand il faudra que j’envoie mon discours pour le congrès. Est-ce qu’on publiera les contributions ?

Veuillez présenter mes compliments à Madame Couturat, et croyez toujours à mon cordialeo dévouement.

Bertrand Russell

Textual Notes

  • a

    Haslemere Adresse imprimée

  • b

    vraiement sic

  • c

    générales sic

  • d

    partagé sic

  • e

    dans [la guerr]

  • f

    unis sic

  • g

    telles sic

  • h

    pourraient sic

  • i

    criminelles sic

  • j

    naïve sic

  • k

    example sic

  • l

    Méxique sic

  • m

    permetterait sic

  • n

    disquisition sic

  • o

    cordiale sic

Publication
Schmid, Russell—Couturat 1: #54
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53151
Record created
Nov 19, 1996
Record last modified
Nov 13, 2025
Created/last modified by
blackwk