BRACERS Record Detail for 53223

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Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
BR
Sender(s)
Couturat, Louis
Date
1904/03/01
Form of letter
ALS(X)
Pieces
4
Transcription

LOUIS COUTURAT TO BR, 1 MAR. 1904
BRACERS 53223. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #126
Edited by A.-F. Schmid


1er mars 1904.

Cher Monsieur,

J’ai été bien aise de recevoir votre lettre, qui s’est croisée avec ma carte postale : comme elle ne dit rien, ni de vos santés, ni de vos occupations, j’en conclus que tout va bien chez vous. En vous envoyant un souvenir de la réception du roi Edouard à Paris, je formais le vœu que rien ne vienne troubler l’« entente cordiale », et qu’au contraire elle serve à maintenir la paix en Europe et à limiter la guerre en Asie.

Je me félicite d’avoir votre approbation générale pour mon 1er article ; votre jugement est naturellement celui auquel je tiens le plus. Je craignais que le souci de vulgariser vos théories (ce qui est une nécessité pratique) ne m’eût entraîné dans quelque erreur théorique. Je corrigerai ce que j’ai dit de ε : si cette relation n’esta pas intransitive, on peut dire qu’elle est non-transitive, au sens défini par vous.

Pour la distinction des signes dans les trois Calculs, je comprends vos scrupules ; mais je crois que, pour le commençant, cette multiplicité de signes serait plutôt troublante, et que l’analogie justifie en quelque mesure, ou du moins rend commode, l’emploi des mêmes signes en des sens différents. L’inconvénient est atténué par votre habitude très sage d’employer des lettres différentes pour les classes, les P. et les R. Peut-être même allez-vous un peu loin dans la voie des distinctions. J’admets bien la distinction pour les Cls. et les P. ; mais pourquoi distinguer les P. et les R. ? Est-ce que les R. ne sont pas au fond des P., ou plutôt des copules de P. ? Est-ce que RS n’équivaut pas à : xRy . ⸧x,y . xSy ? Et la 1e formule ne peut-elle être considérée comme une simple abréviation de la seconde ?

Pour M. Mac Coll, je trouve que vous avez très bien marqué le caractère propre de sa théorie. Il m’a demandé récemment ce que vous en disiez : je lui ai transcrit les 3 passages où vous parlez de lui, en les commentant, et en disant que je les approuvais. Il ne comprend pas l’utilité du Calcul des relations (v. Athenaeum, 20 febr. 1904, p. 245) et croit pouvoir le remplacer par le Calcul des fonctions. C’est aussi l’opinion de Burali-Forti, qui m’a écrit pour dire que votre notation lui paraît inutile, parce qu’on peut dire les mêmes choses dans le symbolisme de Peano. Inutile de vous dire qu’il ne m’a pas convaincu. Il m’a rappelé Huygens, qui prétendait que le calcul de Leibniz était inutile, parce que lui, Huygens, arrivait aux mêmes résultats par les anciennes méthodes.

J’ai reçu des remarques intéressantes de M. F. Marguet, lieutenant de vaisseau, l’auteur de l’Essai d’Ontologie publié dans la R.M.M. sous les initiales F. M. Il m’a dit, par exemple : pourquoi ne pas commencer par le Calcul des relations qui est plus général que le Calcul des propositions, puisque ε, ⸧ … sont des relations ? — En général, on m’a demandé d’éclairer les définitions par des exemples, et de donner une ou deux démonstrations, à titre d’exemples de la méthode (j’en donne une dans mon 2e article). Les démonstrations qu’on me réclame sont : 1° celle du principe d’abstraction : elle se trouve dans R de M t. VII, je n’aurai qu’à la copier en la commentant ; 2° celle des principes de contradiction et du milieu exclu, au moyen du principe de réduction : celle-ci surtout serait utile : 1° pour justifier votre pr. de réduction ; 2° pour réduire à l’impuissance les sectateurs de la vieille Logique, qui croient à l’irréductibilité des principes des « laws of thought ». Or je ne puis pas retrouver cette dernière démonstration. Vous seriez bien aimable de me la donner (uniquement en symboles : je me charge du commentaire) sous la forme la plus simple possible. J’en enrichirai le livre futur.

Ce que vous dites de Frege me console de ne pouvoir lire qu’à grand peine son symbolisme. Je suis très heureux d’apprendre que votre symbolisme traduit toutes ses idées essentielles. C’est vraiment un service à leur rendre que de les revêtir d’une forme acceptable et claire. Ç’a été bien malheureux pour elles que leur auteur leur ait imposé un symbolisme aussi épineux, aussi obscur, aussi difficile même à reproduire typographiquement.

Je suis satisfait d’apprendre que mon interprétation des lettres grecques, latines et allemandes vous paraît correcte. Je commence d’ailleurs à me familiariser avec elles. Mais pourquoi diable Frege n’a-t-il pas mieux expliqué lui-même l’emploi de ses lettres ? Il justifie d’une manière éclatante ce qu’on a dit en général des Allemands, à savoir qu’ils ont besoin qu’un étranger vienne expliquer leurs idées aux autres ... et quelquefois à eux-mêmes.

J’ai écrit à Frege en même temps qu’à vous. Il m’a répondu un mot aimable et provisoire (il est très pressé), et il m’a envoyé FT, FuB, que je lui demandais, et en outre :

Was ist eine Funktion? Sep. Abdruck aus der Boltzmann-Festschrift (1904) ;

Ueber die Grundlagen der Geometrie, Sonderabdruck a. d. Jahresb. d. Deutsch. Mathem. Vereningung t. XII (1903) (à propos de l’ouvrage de Hilbert).

Si vous désirez voir ces opuscules, je pourrai vous les communiquer.

— Je crois que Frege n’a pas dû se faire beaucoup d’amis parmi les mathématiciens par la façon mordante dont il critique leur nominalisme (leur mauvais formalisme), par ex. dans Gg II. Et puis, il prend trop souvent une attitude de critique négative, et en apparence stérile. Il faut avouer que ses exigences logiques, d’ailleurs légitimes, rendent bien difficile le métier de mathématicien. — A ce propos, il y a une question qui me semble obscure et inquiétante : comment peut-on, en Math. pure, démontrer un théorème d’existence, surtout si existence signifie autre chose que non-contradiction, comme le soutient Frege ? En quoi consiste cette existence idéale, et sur quoi peut-on s’appuyer pour la prouver ? Il semble qu’on ne puisse déduire l’existence que de l’existence, or aucun des principes logiques n’est existentiel. Vous voyez l’importance que cette question a dans la critique de Kant, pour qui tout jugement existentiel est synthétique. Il est vrai que chez lui il s’agit d’existence réelle, tandis que je parle d’une existence idéale des êtres mathématiques.

— Prenez votre temps pour répondre aux diverses questions dont je vous accable aujourd’hui. Je vous souhaite bonne santé, ainsi qu’à Madame Russell, heureux progrès dans vos travaux, et vous exprime mes sentiments les plus cordiaux.

Louis Couturat

Textual Notes

  • a

    n’est [n’a]

Publication
Schmid, Russell—Couturat 2: #126
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53223
Record created
Aug 23, 1993
Record last modified
Nov 04, 2025
Created/last modified by
blackwk