BRACERS Record Detail for 53213
To access the original letter, email the Russell Archives.
Reply. Will be occupied politically for some months.
BR TO LOUIS COUTURAT, 12 NOV. 1903
BRACERS 53213. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #116
Edited by A.-F. Schmid
Cheyne Walk
Chelsea London S.W.
le 12 novembre ‘03.
Cher Monsieur,
Je m’empresse de vous remercier pour votre critique, qui me révèle bien des points sur lesquels il est nécessaire de m’expliquer plus complètement que je ne l’ai fait jusqu’ici. Vos objections ne me déplaisent pas le moins du monde ; cependant je crois qu’il est possible d’y répondre. Je les prendrai une à une.
(1). Vous m’objectez que mes principes sont compliqués et difficiles. Au point de vue psychologique, je l’admets ; je soutiens seulement qu’en prenant d’autres principes (excepté à la place de Red, de la manière que j’explique), on a besoin d’un plus grand nombre. Or, il n’y a guère de P. dans toute la logique formelle qui ait l’évidence de 2 + 2 = 4, du point de vue du sens commun, qui est le seul que vous puissiez invoquer. Donc, les arguments que vous employez demanderaient le retour aux anciennes méthodes, où l’on ne se souciait pas de diminuer le nombre des axiomes. Demontrera tout ce qui est susceptible de démonstration — voilà le motif de tous ce que j’ai fait. Quand aux implications boiteuses, elles ne contiennent rien de paradoxal excepté pour ceux qui se sont habitués à la logique des classes comme fondement. Du reste, on peut interpréter p ⸧ q comme « p n’est pas vrai ou q est vrai », pourvu qu’on se rapelleb qu’il faut comprendre ceci comme rapport entre p et q, et non comme affirmé. Je ne mets pas beaucoup de poids sur la Df de p . q , qui n’est qu’un tour de force ; mais je soutiens qu’elle ne contient rien d’erroné, et qu’elle est conforme à l’esprit formel.
(2). Les inférences boiteuses s’emploient constamment dans la pratique : p. ex.
~ p . ⸧ . p : ⸧ . p
est le principe fondamental de presque tout raisonnement des philosophes idéalistes. Ils s’efforcent de démontrer qu’une P implique son contraire, et ils déduisent que la dite P. est fausse. Vous trouverez facilement d’autres exemples.
(3). Je soutiens que ~p est toujours une P. ~p peut s’interpréter : « p n’est pas vraie », ce qui est une P même quand p ne l’est pas. Quant à la nécessité de donner un champ illimité à toute variable indépendante, c’est un point très-important. Vous prenez p. ex.
x, y εN . ⸧ . x + y εN. Si cette P. n’est pas vraie que dans le cas où l’Hp. est vraie, l’Hp. ne sert de rien ; on pourrait tout aussi bien écrire x + y εN sans Hp, ce qui sera vrai sous les mêmes conditions. Mais si on admet que x, y εN . ⸧ . x + y εN est toujours vrai, il faut qu’on ait interprété p ⸧ q sous tous les cas. Sinon,c il faudra mettre, p. ex., p, q ε Prop . ⸧ : p . ⸧ . q ⸧ p.d Il faut ici que p . ⸧ . q ⸧ p ait un sens même quand « p, q ε Prop » est faux. Ceci demande une interprétation de p ⸧ q dans le cas où p, q ne sont pas des P. Ceci revient à ce que je vous ai déjà écrit, que dans les fondements on ne peut admettre sans paralogisme des conditions sous-entendues.
(4). Vous paraissez croire que les Pp de la logique de classes sont des alternatives à celle de la logique des P. Ceci n’est pas vrai. Il est nécessaire d’établir la logique des P. avant de pouvoir faire des déductions ; donc, quand on aurait des milliers de Pp dans la logique des classes, on ne pourrait en tirer aucune conséquence sans la logique des P.
(5). La distinction de *2.3.31 est indispensable : elle ne repose pas sur un idiotisme anglais, puisque je l’ai emprunté à Frege, que je vous supplie de lire. Il faut observer ceci : Supposons qu’on sache que dans tous les cas φx est vrai, ete dans tous les cas il est vrai que φx ⸧ ψx. On désire la conclusion que dans tous les cas ψx est vrai. On a
(1) φx est vrai dans tous les cas. Appelons ceci p
(2) φx ⸧ ψx . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .q
(3) On désire ψx . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . r.
La comparaison montre tout de suite que (2) n’est pas « p ⸧ r », ce qui est souvent vrai quand (2) est faux. Donc la conclusion (3) ne se déduit pas de p . p ⸧ q . ⸧ . q. Si vous essayez de construire une Pp verbale qui remplacerait 2.3.31, vous verrez que 2.3.31 reviennent dans les applications de cette Pp. De plus, 2.2 ne remplace pas 2.3. P. ex. on a p . ⸧ . q ⸧ p; on veut déduire p ⸧ r . ⸧ : q . ⸧ . p ⸧ r, en substituant p ⸧ r à p. Ici ce n’est pas une constante qu’on substitue. De même quand on substitue φx, ψx pour p, q, ce qui se fait dans la logique des fonctions (préliminaire à la logique des classes), on a besoin de la substitution d’une variable.
(6). Vous dîtesf que les déductions élementairesg portent sur des constantes. Ceci peut être vrai ; mais toute règle contient nécessairement des variables. Dans a ⸦ b . b ⸦ c . ⸧ . a ⸦ c * [* J’écritsh ⸦ pour l’inclusion des classes], a, b, c sont variables. On ne peut dire un mot dans la logique sans les variables. Vous pourrez parler de Socrate, de Platon, etc., mais non pas de tout homme ; Vous pourrez parler de la classe des hommes, de la classe des mortels, etc., mais non pas de toute classe. Vous ne pouvez énoncer p ⸧ q . q ⸧ r . ⸧ . p ⸧ r sansi les trois variables p, q, r. Toute P. générale contient une variable au moins : c’est ce qui rend une P. générale. Et il est nécessaire d’admettre qu’en logique on essaie de découvrir des P. générales.
(7). Je réserve = pour l’identité : x = y . = . φx ⸧φ φy. Ici = Df constitue un seul symbol,j distinct de = seul. On aura
⊢ :: a, b ε Cls . ⸧ :. a = b . ≡ : x ε a . ≡x . x ε b
Si toutefois ceci n’est pas vrai, je réserverai = pour x ε a . ≡x . x ε b et pour le sens correspondant pour les relations etc. Je n’aime pas l’habitude de Peano d’employer le même symbole, p. ex. ⸧ , dans plusieurs sens ; je ne me permets pas cette mauvaise habitude.
(8). J’emprunte ⊢ à Frege. Je vois que vous n’en avez pas compris la portée. On nek met ce signe qu’avant une P. vraie. Quand j’écritsl ⊢ p . ⸧⊢ q , ceci n’est qu’une abbréviationm pour ⊢ p et ⊢ p ⸧ q et la conclusion ⊢ q , ce qui est bien autre chose que ⊢ p ⸧ q . On a : Si 2 était un homme, 2 serait mortel ; ceci an la forme ⊢ p ⸧ q . Mais : « Puisque Socrate est homme, il s’ensuit que Socrate est mortel » est ce que j’exprime par ⊢ p . ⸧⊢ q. Le signe ⊢ est très utile quand on a une hypothèse générale, p. ex. ⊢ :: x, y, z εN . ⸧ :. (le reste du numéro). Dans ce cas, le signe ⊢ vient au commencement du numéro, et ne revient plus jusqu’à ce qu’on change d’hypothèse. Donc quand on voit une P sans le signe ⊢ , on sait qu’il y a une hypothèse qui précède. Le signe a le même sens dans ⊢ φx ; c’est seulement φx qui a un sens spécial.
Les numéros *10–*19 s’occupent de fonctions et de classes ; les numéros *20–*29 des relations. Alors on passe à l’arithmétique cardinale.
Je vais m’occuper de politique pendant quelques mois. Je vous prie de répondre à cette lettre ; mais si je tarde à répliquer, ce sera seulement parce que j’ai trop à faire.
Je vous dois beaucoup de reconnaissance pour le soin de vos critiques, qui me seront très utiles même si je ne les accepte pas.
Croyez-moi votre cordialement dévoué
Bertrand Russell.
