BRACERS Record Detail for 53179

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Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
BR
Sender(s)
Couturat, Louis
Date
1901/07/05
Form of letter
ALS(X)
Pieces
6
Notes and topics

Wants BR to translate into English letter and declaration of Langue Internationale. Cites BR and A.N. Whitehead in preface to Leibnitz. Has BR read Husserl's Logische Untersuchungen.

A.N. Whitehead's promised article.

Transcription

LOUIS COUTURAT TO BR, 5 JULY 1901
BRACERS 53179. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #82
Edited by A.-F. Schmid


Délégation pour l’adoption d’une langue auxiliaire internationalea
Salins (Jura)
le 5 juillet 1901.
7, rue de la République
(jusqu’au 25 juillet)

Cher Monsieur,

Je m’empresse d’autant plus de vous répondre, que je voulais vous écrire ces jours-ci. Non pas que je fusse étonné de votre long silence, que j’attribuais à vos occupations : je pensais que l’organisation de l’Université vous apportait un surcroît de travail. Je serai heureux de connaître, à l’occasion, les programmes que vous aurez élaborés pour la philosophie.

De mon côté, j’ai été extrêmement occupé, outre mon Leibniz à finir, par la propagande pour la L. I. J’ai envoyé ma brochure et nos prospectus à quelques personnes choisies dans toutes les Universités étrangères. J’ai reçu quelques réponses favorables et intéressantes d’Allemagne et d’Italie ; aucune d’Angleterre. Il nous faudra recommencer à la rentrée. Nous voulons faire traduire notre Déclaration en anglais, en allemand et en russe, pour qu’elle ait plus de portée. Nous voudrions yb joindre une circulaire spéciale pour l’Angleterre, contenant les arguments les plus propres à toucher vos compatriotes. Si vous aviez une heure à perdre, je vous prierais de nous traduire la lettre et la Déclaration : avec votre connaissance du français, ce ne serait qu’un jeu pour vous. En tout cas, j’aimerais avoir votre avis sur la lettre, dont je vous soumettrai le texte. Vous sentiriez mieux que nous ce qu’il convient de dire. Mais si vous n’avez pas le temps, dites-le-moi franchement ; nous ne serons pas embarrassés de nous adresser à d’autres personnes.

— Mon Leibniz est sous presse et va paraître dans quelques jours : vous le recevrez aussitôt. J’ai cité votre ouvrage dans la Préface, qui est l’endroit le plus lu et le mieux en vue. Je ne l’ai pas cité ailleurs, n’ayant pas l’intention de le discuter ; en revanche, j’ai eu plusieurs fois à citer votre Géométrie, ainsi que l’Algèbre universelle de M. Whitehead, dont je retrouve l’idée dans Leibniz.

Je mec suis mis à lire votre livre depuis que je suis délivré du mien. Je ne regrette nullement que Pierre Boutroux en ait fait la critique : son article a été goûté. Pour ma part, je ne juge pas du tout comme lui. En deux mots, voici mon avis. Je suis tout à fait d’accord avec vous pour trouver les fondements de la philosophie de Leibniz dans sa Logique (et c’est ce que j’ai fait ressortir dans la note où je vous cite). Mais je diffère de vous toto cœlo (comme il disait) sur les principesd logiques eux-mêmes, et surtout sur le principe de raison, qui signifie selon moi : « Toute vérité est analytique ». Vous voyez si je puis accepter ce que vous dites du caractèree synthétique des vérités contingentes. J’appuie mon interprétation sur une foule de textes (cités p. 208 sqq. 214 sqq.) et sur le fragment inédit que je résume dans ma Préface. Tous les autres principes métaphysiques dérivent de là, suivant Leibniz lui-même, en particulier l’identité des indiscernables. — Je ne m’étonne pas d’ailleurs que vous vous soyez mépris (à mon sens) sur ce point : tous les autres interprètes s’y sont également trompés, parce qu’ils n’avaient à leur disposition que les textes connus ; bien que certains d’entre eux (lettres à Arnauld, et le De libertate dans F.de C.) continssent déjà l’idée essentielle, mais cachée et comme noyée. Quand onf connaîtra le fragment Phil. VIII ; 6–7 (que je compte publier d’abord dans l’Archiv), on sera obligé d’admettre mon interprétation. — Vous trouverez dans le Chap. VIII beaucoup de détails curieux et inédits sur le Calcul logique de Leibniz. Je vais retourner à Hanovre en août pour compléter des copies et les publier en suite. C’est une mine inépuisable. On a nommé un Comité pour préparer l’édition projetée par l’Ass. int. des Acad. Il comprend MM. Boutroux, Poincaré et Ad. Harnack.

— Je serais heureux de suivre ou de connaître d’une façon quelconque le cours que vous allez faire cet hiver. Ce qui m’intéresse le plus dans votre Leibniz, ce sont vos idées personnelles, qui se retrouvent dans votre article de Mind (c’est même le reproche qu’on pourrait faire à votre livre, d’être plus critique qu’historique ; vous discutez trop les idées de Leibniz pour en apprécier l’enchaînement et la « conséquence », ce qu’on peut appeler « vérité intrinsèque » du système). Que la Logique des relations soit la vraie Logique générale, la Logique de l’avenir, c’est ce dont l’étude de Leibniz m’a de plus en plus convaincu, et ce que j’ai indiqué dans ma Conclusion.(1) C’est à cette Logique que vous comptez travailler, et je ne saurais trop vous y encourager. Je crois que pour arriver à des résultats complets et féconds, il vaut mieux employer la méthode a posteriori que la méthode a priori, c. à d. analyser les relations logiques que nous fournissent les sciences (à commencer par les Mathém.) que d’entreprendre de les construire de toutes pièces et d’une manière formelle. En d’autres termes, je préfère la marche de Peano à celle de Schröder, qui est terriblement aride, et un peu vide au fond (je parle de son tome III). Je goûte d’avantage Peano (un peu grâce à vous, et aussi grâce à Leibniz) depuis que je vois qu’il réalise assez parfaitement l’Encyclopédie démonstrative rêvée par Leibniz.

— Je ne sais si vous avez lu dans la Revue de Métaph. les articles de Le Roy et Wilbois. C’est une école de philosophes catholiques, fidéistes et presque mystiques, qui s’efforcent de ruiner la valeur objective de la science pour lui substituer une foi arbitraire et absurde, sous prétexte de liberté. On voit par là où mène l’abus de ce terme irrationnel et vide, qui devrait être banni de la philosophie. J’ai combattu cette doctrine de toutes mes forces dans une séance de la Société de Philosophie. Elle est forte et dangereuse, parce qu’elle procède de la conjonction du contingentisme moral de Boutroux et du positivisme scientifique de Poincaré, au moyen de la théorie de la connaissance de Bergson. Ce qu’il y a de curieux, c’est que cette théorie de la connaissance ressemble d’une manière frappante à l’épistémologie utilitariste et évolutionniste de Mach par ex (l’économie de la pensée). Ce qui prouve que quand on veut s’élever au-dessus de la raison, on retombe au-dessous (qui veut faire l’ange fait la bête, disait Pascal), et que la mystérieuse liberté qu’on veut nous faire adorer n’est pas plus esprit que nature : c’est l’inconnaissable et l’irrationnel pur.

A propos, avez-vous lu les Logische Untersuchungen de Husserl ? Vous savez que c’est un « psychologiste » converti : il proclame maintenant la séparation de la psychologie et de la logique, et combat l’épistémologie psychologiste ou psychologisante, à la Mach. Je voudrais bien dire mon mot sur ces questions, et produire quelques articles : mais le temps me manque. Et puis je suis si fatigué, et il faut que je prenne un peu de vacances et de repos.

Vous seriez bien aimable de rappeler à M. Whitehead l’article qu’il nous a promis, et de lui demander où il en est.

— J’oubliais de vous dire que Leibniz va faire l’objet d’un volume de M. Cassirer qui va paraître en Allemagne à l’automne ; je l’ai appris de M. Natorp. Le concours de travaux sur Leibniz sera très intéressant, et ne peut manquer de leur profiter à tous, ainsi qu’à Leibniz lui-même.

Vous voudrez bien me tenir au courant de vos déplacements ; je ferai de même. En cas de doute ou d’oubli, vous n’avez qu’à écrire à Paris, 7, rue Nicole.

— Je vous prie de répondreg d’un mot à la question de la traduction. Je vous envoie la circulaire : la Déclaration reste la même, naturellement ; c’est la lettre qui serait autrement rédigée, mais de même étendue.

— Veuillez présenter mes meilleurs hommages à Madame Russell, et recevoir l’assurance de mes sentiments cordiaux et dévoués.

Louis Couturat

P. S. M. Hannequin me demandait récemment votre adresse ; il voulait vous remercier de votre livre et de votre ancien article sur sa thèse. Mais il est si souffrant qu’il lui est pénible d’écrire. S’il ne l’a pas fait, je le fais à sa place, en excusanti son silence non voulu.

P. S. L’Esperanto a un succès énorme en France (grâce au Touring-Club). Mais cela ne sert de rien, si les autres pays ne suivent pas le mouvement.

Notes

(1) Il y en a des germes dans Leibniz lui-même, et dans ce Jungius si pénétrant et si peu connu.

aEn-tête imprimée, l’adresse de Paris en a été raturée b[au] c[n’ai pu] d[fonde] e[des jugements]{du caractère synthétique[s]} au-dessous de la ligne f[j’aurai]{connaîtra} au-dessous de la ligne g[me] h[l’imprimé] i[et vous]

Publication
Schmid, Russell—Couturat 1: #82
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53179
Record created
May 29, 2014
Record last modified
Nov 26, 2025
Created/last modified by
blackwk