BRACERS Record Detail for 53165
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Has BR's Leibniz. On the preface.
LOUIS COUTURAT TO BR, 20 OCT. 1900
BRACERS 53165. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #68
Edited by A.-F. Schmid
7, rue Nicole, Paris (V)
le 20 octobre 1900.
Cher Monsieur,
J’ai trouvé votre Leibniz chez moi, en rentrant de la campagne avant-hier, et je me suis empressé de le couper et de le parcourir, avec quel intérêt, vous le devinez. J’en ai admiré d’abord l’ordre et la clarté matérielle, pour ainsi dire, la commodité de l’Appendice et de son Index (je compte faire quelque chose d’analogue dans mon livre, bien que je mette beaucoup de textes en note au bas de la page). Puis j’ai goûté la Préface, la façona humoristique dontb vous parlez des historiens purs ; vous avez bien défini et distingué les deux manières de comprendre l’histoire de la philosophie. Je vous demanderai pourtant de faire place à une troisième, qui, tout en s’attachant à reconstruire et à interpréter le système, ne négligerait pas d’en rechercherc le progrèsd à travers le temps et le développement intérieur : en d’autres termes, qui l’exposerait non seulement dans son ordre logique, mais dans son ordre historique. Je ne sais pas encoree si vous l’avez fait ; mais c’est ce que j’ai essayé de faire. Je sais bien qu’il est très difficile de concilier ces deux ordres ; mais je crois que c’est indispensable avec un auteur aussi « fluent » que Leibnitz, qui est en perpétuelle transformation. Vous avez parfaitement raison de considérer la Monadologie comme un résumé tardif etf presque inintelligible de la doctrine, et d’eng chercher l’origine dans les écrits de 1686. Jeh vois aussi avec plaisir que vous trouvez les fondements de la métaphysique de L. dans sa Logique, dans ses deux principes très simples (trop simples) de contradiction et de raison, qui se réduisent à ceci : Toute vérité (et non pas seulement toute vérité nécessaire), est analytique. Aussi votre plan me paraît-il lumineux (d’après les titres des Chap. et des §). Seulement, je suis étonné de voir venir si tard la Characteristica universalis (§ 105) parce que c’est selon moi la racine ou la source de toutes les théories logiques de Leibnitz. Vous savez (et vous le dites) que cette idée date de l’âge de 20 ans (du De Arte combinatoria) et même avant (vous connaissez et citez ses projets d’écolier). C’est là le germe de tout le système, qui a fructifié pendant 20 ans pour produire toutes les thèses métaphysiques énumérées p. vii). A mon avis, c’est là ce qu’il eût fallu mettre en première ligne, à la fois dans l’ordre logique et dans l’ordre historique, qui ici concordent et s’éclairent mutuellement. Il faut voir dans la Correspondance avec Tschirnhaus (G. M. IV) comment L. a élaboré dès 1680 les idées du De cognitione veritate et ideis. C’est encore et toujours cette idée qui est l’âme de son grand projet d’une Encyclopédie. Vous constatez que Leibnitz n’a jamais produit une « grande œuvre », et vous en donnez des bonnes raisons. Mais il faut ajouter qu’il a rêvé toute sa vie d’une grande qui devait être son œuvre unique, et dont il n’a laissé que des plans, des brouillons, et des fragments ; de sorte qu’on peut dire que le vrai Leibnitz, non seulement n’a pas publié, mais n’a jamais été écrit. (Un poète a dit : Nos plus belles pensées sont celles que nous ne pouvons exprimer ; nos meilleures œuvres sont celles que nous n’écrivons pas.) Et comme ce projet est resté flottant dans son esprit, et a évolué à travers les temps, il faut le suivre pas à pas dans les fragments datés dont Gerhardt est si avare, et dont j’apporte une assez riche moisson.
Je vous remercie vivement d’avoir cité mon ouvrage à l’avance, et de confiance ; j’aurai naturellement l’occasion de citer le vôtre, et en connaissance de cause. Mon livre a subi forcément un retard par suite de mon voyage à Hanovre et de la nécessité de le compléter et de le remanier à l’aide des documents nouveaux. Mais j’espère m’en débarrasser bientôt et ne pas fairei trop mentir votre obligeante annonce. Je ne publierai les Fragments inédits qu’ensuite ; peut-être retournerai-je à Hanovre auparavant.
Vous avez dû recevoir le n° de la Revue de Métaph. qui rend compte du Congrès. Je vous enverrai un exemplaire de mon article de l’Enseignt. math.
Veuillez présenter à Madame Russell mes respectueux hommages avec les meilleurs souvenirs de ma femme, et croire à mes sentiments cordiaux et dévoués.
Louis Couturat
P. S. Votre livre allait me faire oublier de vous dire que la publication de votre Essay touche à son terme. J’ai encore une fois « relancé » M. Gauthier-Villars par lettre ces jours-ci ; il m’a répondu par de bonnes promesses, et ce qui vaut mieux, par l’envoi des derniers placards. Vous avez dû les recevoir ; je vous engage à corriger avec soinj vos notes mathématiques, dont je n’ai pas le manuscrit sous les yeux. (Je demandais ironiquement à M. G.-V. si on attendait le siècle prochain pour faire paraître votre ouvrage.)
Il va sans dire que je serai bien aise d’avoir votre avis sur les idées exposées dans ma lettre, et que me vous ferez plaisir en les discutant. Au surplus, ce ne sont pas des critiques et ce n’en peut pas être, puisque je n’ai pas encore lu votre livre. — Je tâcherai qu’on en fasse un compte-rendu soigné dans la Revue de Métaphysique. Je ne le ferais qu’à défaut de tout autre, parce que je craindrais qu’on suspectât mon impartialité. Et l’on n’aurait pas tout à fait tort.
— Quel est votre numérotage des Nouveaux Essais ?
Notes
a{la façon} b[quand]{dont} c[trop]{rechercher} au-dessous de la ligne drature e{encore} au-dessous de la ligne f{tardif et} au-dessous de la ligne g[et d] h[vous] i[les]{vos} au-dessous de la ligne
