BRACERS Record Detail for 53160
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His Leibnitz. A.N. Whitehead.
LOUIS COUTURAT TO BR, 30 JUNE 1900
BRACERS 53160. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #62
Edited by A.-F. Schmid
7, Rue du Casino, à Mers (Somme)
le 30 juin 1900.
(adresse jusqu’au 28 juillet.)
Cher Monsieur,
Je m’empresse de répondre à vos deux lettres. Le résumé en question n’a d’autres limites que le temps assigné à chaque auteur pour lire, exposer ou résumer son mémoire comme il l’entend ; soit 20 minutes.(1) C’est peu pour chaque auteur, mais c’est beaucoup pour les auditeurs, vu le nombre des mémoires. Si vous êtes présent, comme je l’espère bien, vous pouvez vous arranger à votre gré ; mais je crois bon, dans tous les cas, de préparer un peu votre exposition.
Je vous remercie de ce que vous me dites du caractère non-projectif de l’Algèbre de Grassmann. Cela me paraît juste ; cependant, ne pensez-vous pas vous-même que l’on peut dépouiller les coefficients numériques de leur sens métrique ? Whiteheada lui-même n’introduit l’idée métrique (la distance) qu’au livre VI, ce qui me fait croire que tout ce qui précède correspond à peu près et en grosb à la Géométrie projective.
Je constate comme vous (plutôt avec regret) que nos livres sur Leibnitz ont peu de points communs. Peut-être cependant en ont-ils plus que vous ne croyez : car, à propos du Calcul logique et du Calcul géométrique, c’est toute « La Logique de Leibniz » (tel est le titre exact) que j’ai été amené à exposer. En voici les chapitres, pour vous donner une idée du contenu :
I. Leibnitz et Aristote (le syllogisme).
II. L’Art combinatoire (op. de 1666.)
III. La Langue universelle.
IV. La Caractéristique (où je définis en passant l’attitude de Leibnitz à l’égard du nominalisme de Hobbes) ;
V. L’Encyclopédie (chap. historique, fort curieux, avec les divers plans successifs),
VI. La Science générale (chap. principal, contenant la Logique de la certitude et la Logique des probabilités ; les deux principes suprêmes, la distinction des vérités nécessaires et contingentes, la théorie des possibles, celle de l’induction et de l’expérience, celle des sciences pratiques, etc.)
VII. La Mathématique universelle (classification des sciences math : rôle prépondérant de la Combinatoire, véritable Art d’inventer)
VIII. Le Calcul logique.
IX. Le Calcul géométrique.
Vous voyez l’ampleur du sujet, où la Caractéristique n’a qu’une place secondaire. Pour les 2 derniers chap. (les premiers que j’aie composés) je me suis servi, non seulement de Gerh. Phil. t. VII., mais encore de Gerh. Math. t. V et VII, où se retrouvent les essais très curieux de la Caractéristique géométrique auxquels fait allusion le passage que j’ai cité. Je conviens qu’en lui-même il est ambigu (M. Boutroux s’y est trompé) mais le sens ne fait plus aucun doute quand on a la correspondance avec Huygens, Tschirnhaus, L’Hospital, etc. Mon but a été d’éclairer et de commenter constamment les Œuvres phil. de Leibnitz au moyen de ses Œuvres mathémat. Vous devinez sans peine l’utilité d’un pareil travail. D’autre part, je me suis attaché à montrer en Leibnitz le précurseur ou l’initiateur d’une foule de théories modernes, tant mathématiques que logiques, notamment de celles de Boole et de Grassmann auxquels je compare ses essais.c Enfin, je me suis efforcé de faire voir que sa Logique est le centre ou le foyer de son système, que c’est d’elle que découlent à la fois ses théories métaphysiques et ses inventions mathématiques, et d’y rattacher ses doctrines les plus classiques, comme le déterminisme, l’optimisme, les futurs contingents, etc. Comme vous le voyez, c’est une étude d’ensemble, d’une étendue assez grande (500 à 600 pages imprimées)d et d’un contenu assez riche, sans compter les Appendices et Notes qui occuperont 150 pages, et que j’ai cru devoir adjoindre à mon livre, en l’absence d’une édition complète et bien ordonnée, et même de toute table ou index systématique dans les éd. Gerhardt. J’ai pensé surtout à être utile aux étudiants, en leur révélant des textes peu connus, dont beaucoup ne se trouvent pas dans les édit. modernes.
— Je suis sûr que votre livre, bien qu’il ne soit qu’une exposition générale et classique, contiendra des indications intéressantes et des vues originales, par le seul fait qu’il est l’œuvre d’un mathématicien. Je ne vois pase l’occasion de le citer au cours de mon ouvrage ; mais je pourrai toujours l’annoncer dans une note de ma Bibliographie.
— Je complète mes renseignements relatifs au Congrès. Les comptes rendusf officiels des séances, publiés aussitôt par l’administration, ne contiennent qu’un résumé sec et superficiel. Quant à la publication in extenso des mémoires (entreprise privée de la Revue), elle demandera quelque temps ; on a annoncé 1 volume tous les six mois, mais on espère les faire paraître tous dans un intervalle d’un an. Le tome III, où vous figurerez, paraîtra probablement en décembre. — Inutile d’envoyer le résumé si vous venez ; il n’a pour but que de remplacer les absents.
Comme je l’ai écrit à M. Whitehead, je vous engagerai, si cela vous est possible, à arriver à Paris un ou deux jours plus tôt, pour votre commodité, à cause de l’encombrement des chemins de fer et peut-être des hôtelsg au 31 juillet.
En attendant le plaisir de vous revoir et de causer avec vous, je vous envoie l’expression de mes sentiments les plus sympathiques et dévoués.
Louis Couturat
(1) Ce qui correspond à 10 pages imprimées.
