BRACERS Record Detail for 53106
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LOUIS COUTURAT TO BR, 7 JUNE 1898
BRACERS 53106. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #8
Edited by A.-F. Schmid
Caen, 1,
boulevard St. Pierre
le 7 juin 1898.
Cher Monsieur,
Je suis bien aise que mon article vous ait plu, et que certaines de mes critiques vous aient paru justes. M. Lechalas a été, lui aussi,a frappé de mes arguments en faveur de l’homogénéité de l’espace. Il a eu lab conscience de lire votre ouvrage, sans savoir l’anglais, et la patience de le traduire par écrit et in extenso ! Il a communiqué cette traduction à M. Calinon, qui me dit qu’il vous a écrit. Celui-cic est préoccupé de l’indépendance de la Géométrie projective à l’égard de la Géométrie métrique, et cherche si la première ne postule pas l’égalité métrique. Je ne crois pas qu’il réussisse à trouver un élément métrique à la base de la Géométrie projective ; je l’ai renvoyé, pour s’en assurer, aux ouvrages de Staudt et de Cremona. J’ai encore envoyé mon article à M. Hugh Mac Coll, avec qui je suis en correspondance au sujet de son Calcul logique, et qui m’a répondu qu’il connaissait déjàd votre ouvrage.
Ce dont je me félicite surtout, c’est que mes objections vous aient suggéré une réponse qui ne pourra manquer d’intéresser et d’instruire tous vos lecteurs, et moi tout le premier. Je vous prierai seulement de ne pas vous inquiéter de l’étendue de votre article, et de ne pas le resserrer dans des limites trop étroites. Le public de la Revue ne se plaint jamais qu’on lui donne trop d’explications sur ces questions savantes et délicates. Je connais trop votre style pour craindre que vous ne péchiez par la prolixité.
Je vous engagerai également à ne pas trop vous presser : d’abord, parce que le n° de Juillet doit être à peu près plein, et que je ne sais si l’on pourrait vous y faire entrer ; ensuite, parce que le délai que vous m’indiquez serait bien court pour faire la traduction ; le manuscrit doit être remis à l’imprimeur au plus tard à la fin de ce mois. Enfin, vous savez que je n’ai pas fini de vous ennuyer, et que je prépare pour ce même numéro un article sur les Rapports du nombre et de la grandeur où je résume et discute votre article de Mind. Vous ne m’en voudrez pas si je vous plaisante un peu à propos d’Aristote : il faut vous avouer que c’est, comme on dit, ma bête noire, et que j’ai la scolastique en horreur.(1) Je vous reprocherai d’avoir un penchant pour elle, et d’abuser un peue de la logique formelle. Je vous en préviens, car ces reproches sont bien moins dirigés contre vous que contre toute une école de philosophes français qui se traînent dans la routine : c’est à eux que je fais déjà allusion à la fin de mon compte-rendu, en vous proposant comme exemple. Il ne faudra donc pas prendre pour vous le mal que je dirai d’Aristote : vous n’êtes qu’un prétexte ou qu’une occasion. Plût au ciel que l’on n’eût que des scolastiques comme vous !
— Je me suis occupé de trouver un éditeur pour la traduction que M. Cadenat prépare de votre ouvrage. M. Alcan, à qui je me suis adressé d’abord, et à qui j’ai communiqué votre volume, m’a répondu par un refus accompagné, d’ailleurs, de toutes sortes de compliments pour l’ouvrage et pour l’auteur. Il paraît que ces sortes de travaux ne trouvent en France qu’un public très restreint, et que les traductions s’écoulent moitié moins que les livres originaux. — Je sais bien par moi-même qu’il n’y a qu’un petit nombre de lecteurs pour ce genre d’études ; mais c’est justement pour cela que je lutte de toutes mes forces pour créer un public qui s’y intéresse. J’aif ensuite demandé conseil à M. Jules Tannery, qui doute un peu du succès de nos recherches. En attendant, il m’ag proposé de rendre compte de votre livre dans le Bulletin des Sciences mathématiques, et je m’en suis chargé avec plaisir, attendu que personne, je m’en flatte, ne saura mieux que moi apprécier et faire ressortir le mérite de l’œuvre (Avez-vous vu le compte-rendu médiocre et banal de M. Laisant dans la Revue générale des Sciences ?). Je vais continuer à chercher un éditeur, et je n’y renoncerai que lorsque je serai convaincu de l’impossibilité de réussir.
Je dois vous avouer que le droit de traduction réclamé par MM. Clay & Sons, si modique qu’il soit, est fait pour décourager un éditeur de bonne volonté, qui peut tout au plus espérerh couvrir ses frais par le produit de la vente.
Je vousi tiendrai au courant de mes tentatives. Dans tous les cas, je vous prie de croire que je n’y épargnerai pas ma peine, et d’agréer l’expression de mes sentiments les plus sympathiques.
Louis Couturat
Textual Notes
- a
aussi {lui aussi}
- b
la [const patience]{conscience}
- c
Celui-ci [Il]{celui-ci} au-dessous de la ligne
- d
déjà {déjà} au-dessous de la ligne
- e
peu [e me suis adressé]{‘ai ensuite demandé conseil}
- f
J’ai [chargé]{proposé}
- g
m’a {un peu}
- h
espérer [compenser]{couvrir} au-dessous de la ligne
- i
vous [en donnerai des nouvelles]{tiendrai au courant de mes}
