BRACERS Record Detail for 53100
To access the original letter, email the Russell Archives.
LOUIS COUTURAT TO BR, 9 NOV. 1897
BRACERS 53100. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #2
Edited by A.-F. Schmid
(Calvados) Caen,
le 9 novembre 1897.a
(1, boulevard St. Pierre)
Monsieur,
Si j’avais répondu tout de suite à votre aimable lettre, je vous aurais dit que vous ne pouviez me faire de plus grand plaisir que de venir me voir en passant à Paris, et que je serais très heureux de faire votre connaissance. Je ne sais quel pressentiment m’a empêché de vous écrire aussitôt, comme j’en avais d’abord l’intention ; j’ai voulu attendre d’être rentré à Paris pour vous dire combien je désirais vous y recevoir. Mais, à peine de retour, j’ai reçu l’avis tout à fait imprévu de ma nomination à l’Université de Caen. Je n’ai eu que le temps de déménager et de partir, et je ne suis pas encore installé ici. L’un de mes plus grands regrets, je puis le dire, est de me voir privé de l’occasion de faire votre connaissance. Si encore j’avais été nommé à Dijon, par exemple, comme j’ai pu l’espérer un instant, je vous aurais priéb instamment de vous y arrêter en revenant d’Italie. Mais je ne puis raisonnablement vous inviter à passer par Caen pour retourner en Angleterre, et je n’ose vous engager à faire un tel détour. Si toutefois votre humeur voyageuse vous amenait, cette fois-ci ou une autre, dans la Normandie, si voisine de votre pays (nous avons des paquebots de Caen au Havre et de Caen à Newhaven), je serais charmé de vous voir et de vous entretenir. D’ailleurs, je compte passer quelques jours à Paris àc Noël, à Pâques, et aux vacances (août-octobre) ; si vous y passiez vous-même à l’une de ces époques, vous seriez bien aimable de m’en avertir, et nous pourrions nous rencontrer.
Je vous remercie de la réponse que vous m’avez donnée au sujet de vos études antérieures : elle me prouve qu’il est possible à un étudiant anglais de passer des mathématiques à la philosophie, et d’unir ces deux ordres de recherches. C’est ce qui est impossible chez nous, où les philosophes sont parqués dans les lettres et les mathématiciens dans les sciences, sans communication régulière et sans lien officiel. On projette, il est vrai, de renverser les barrières qui, dans nos Universités restaurées, séparent encore les différentes Facultés ; je vais y travailler ici de toutes mes forces, en entreprenant une série de cours sur la Philosophie des sciences. Inutile de vous dire que lorsque je traiterai de la Géométrie, votre bel ouvrage sera exploité et cité.
— Je crains que mes nouvelles occupations ne retardent la composition et l’apparition du compte-rendu que je me proposais d’en faire ; mais j’espère que vous n’y perdrez rien. Peut-être vous soumettrai-je une ou deux critiques, qui ne seraient dans ma pensée qu’une sollicitation à compléter votre travail.
En attendant, je vous prie d’agréer, avec mes profonds regrets pour cette entrevue manquée, l’expression de mes sentiments de vive et cordiale sympathie.
Louis Couturat
Professeur à la Faculté des Lettres de Caen.
