BRACERS Record Detail for 53237

To access the original letter, email the Russell Archives.

Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
BR
Sender(s)
Couturat, Louis
Date
1904/06/26
Form of letter
ALS(X)
Pieces
5
Notes and topics

See record 57119 for an appended letter.

Transcription

LOUIS COUTURAT TO BR, 26 JUNE 1904
BRACERS 53237. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #140
Edited by A.-F. Schmid


26 juin 1904.

Cher Monsieur,

Je vous remercie bien tard de votre lettre du 13 juin, qui est arrivée juste à temps pour la 2e séance de la Société. Vous y faites fort justement la part à la psychologie dans le concept de définition. Mais nos adversaires ne veulent voir que ce sens psychologique, pédagogique, et nient le sens logique (de la définition nominale) parce qu’ils l’ignorent. Ils savent bien que Pascal l’a soutenu, mais ils ne savent pas que tous les mathématiciens l’emploient. M. Lachelier ayant insinué que Pascal était le seul à professer cette opinion, et qu’il avait interrompu la belle tradition aristotélique (qui admet les définitions d’idées ou réelles), j’ai protesté, en disant que la tradition aristotélique est morte, et que la tradition vivante est celle de Pascal et des mathématiciens modernes. Voilà pourtant où nous en sommes ! il nous faut encore combattre l’autorité d’Aristote ! Il est des morts qu’il faut qu’on tue, comme on dit.

J’ai répondu à M. Burali-Forti dans le sens que je vous avais indiqué et que vous m’aviez confirmé. Je vous communique la copie de ma réponse, où j’ai un peu développé mon argument. Je vous prierai de me dire ce que vous en pensez, et de me la rendre. J’y soulève la question suivante : Deux objets déterminent-ils leur relation ? Je sais que vous l’affirmez comme Pp, mais cela ne me paraît pas évident, ni nécessaire. Quelles sont les raisons pour lesquelles vous admettez cette Pp ?

— Pour les grandeurs extensives et intensives, j’ai retrouvé le passage où vous en parlez, après avoir envoyé ma lettre et avant d’avoir reçu la vôtre. Les mots extensif et intensif n’étaient pas à l’Index (En général, ne craignez pas de me renvoyer à votre livre : bien que j’en relise de temps en temps des passages, il est si gros et si nourri, que depuis le temps que je l’ai lu j’ai oublié bien des détails.) Voici, pour ma part, comment je distingue les grandeurs intensives et extensives : les grandeurs intensives sont celles qui sont susceptibles d’inégalité, mais non d’addition ; les grandeurs extensives sont susceptibles d’addition, et l’on peut définir leur inégalité au moyen de l’addition ; d’où deuxa théories, la vôtre, où l’inégalité est indéfinissable, et celle de Burali-Forti (et de Huntington) où l’addition seule est indéfinissable. J’ai exposé ces deux théories dans mon prochain article (n° de Juillet). Vous me direz alors ce que vous en pensez. — Vous avez dû recevoir le tirage à part de mon article sur Kant. Il jure un peu, par son attitude critique assez sévère, avec le ton dithyrambique et l’admiration idolâtrique des autres articles du n°. La plupart des philosophes ne sont que des historiens, et, dans leur souci de la vérité historique, ils perdent le sens de la vérité vraie. Certains disent que pour juger un philosophe il faut se placer à son point de vue, le juger de l’intérieur. C’est fort joli, mais si son point de vue est erroné ou dépassé ? On approuverait tout, s’il fallait tout comprendre chaque doctrine comme l’auteur lui-même : car chaque auteur croit sa doctrine vraie. C’est du dilettantisme et du scepticisme.

— Pour les divisibilités, dont vous dites que vous avez fait trop usage, je n’en fais aucun usage, parce que je n’ai pas bien compris votre théorie sur ce point. J’adopte votre thèse, que chaque grandeur est indivisible, et je remplace la divisibilité par l’addibilité, c. à d. par le fait qu’une grandeur peut être la somme d’autres grandeurs.

Je suis en train de rédiger mon petit livre (100 pages) sur La Logique mathématique, pour Gauthier-Villars, qui me le réclame. Je m’y inspire surtout de Peano et de vous, et j’adopte vos notations à tous deux, sauf une, celle de la conversion, à cause des ennuis que causent les signes placés au dessus et horsb de la ligne. Je ne vois pas de raison pour conserver $\breve {R}$ plutôt que $\bar {R}$ et, pour imiter – R, j’écris cR (ce qui donne parfois au besoin c R). On mettra c(R1 ∪ R2) quand il y aurac des parenthèses. Bref, on maniera c comme ~. Il y a dd’autres symboles que je voudrais bien changer, c’est Nc⟝1, 1⟝Nc, 1⟝1 , qui ont le grave défaut de paraître composés, et par suite d’exiger des parenthèses. Il faudrait un symbole d’un seul bloc, comme →, ←, ↔ . Qu’en pensez-vous ? Si vous étiez disposé à adopter cette petite réforme, je me hasarderais à l’introduire ; car je ne dois pas oublier que mon livre doit servir d’introduction à la lecture de vos mémoires et de ceux de M. Whitehead. L’invention des signes est une affaire extrêmement délicate, et plus importante qu’on ne croit. — Encore un mot : je n’aime pas 1’ et 0’, que vous avez empruntés à Schröder, et qui n’ont plus de raisons d’être, puisque vous n’employez pas 0 et 1 dans le même sens que lui. Je substitue I (initiale d’identique) à 1’ et j’écris −I pour 0’ .

Passant des signes aux idées, je vous demande, à ce propos, ce que vous pensez de la définition de l’identité des individus que j’ai donnée, d’après Peano, dans mon 1er article :

xy . = . x ε a . ⸧a . y ε a  Df

et de la définition que j’en donne (sauf correction) dans ma Logique mathématique :

xIy . = . ιx = ιy  Df

Vous remarquerez que celle-ci me permet de démontrer plusieurs P que vous prenez pour Pp dans RdM. VII, sans compter que je fais l’économie de l’idée primitive 1’ . Seulement, ce qui me rend perplexe, c’est que nous ne définissons pas l’individu : nous définissons bien le nombre 1, mais comme classe (comme classe de classes, même), et cette définition implique la notion d’individu, au moins d’individu relatif, d’élément d’une classe. Y a-t-il d’ailleurs des individus absolus, c. à d. qui ne soient jamais qu’individus, et non pas classes ? Ce qui me suggère cette question, c’est, vous le devinez, qu’il y a des Cls’Cls , des Cls’Cls’Cls , etc., et qu’ainsi une Cls joue le rôle d’individu par rapport à une Cls d’ordre supérieur, et sert de sujet à la relation ε. De sorte que dire que x ε y n’est pas dire que x est un individu, absolument parlant, mais seulement qu’il est un individu par rapport à y.

Vous remarquez que j’ai adopté la réforme de Padoa : x ε a . ⸧ . a ε Cls pour éviter le cercle vicieux Cls ε Cls.

Mais je suis amené à contredire Peano sur le point que voici : x ε a = Ʌ . ⸧ . a = Ʌ alors que Peano pose : x ε a . ⸧ . Ǝa.

Lequel de nous a raison ?

Je vous ferai remarquer que j’ai fait plus d’usage que Peano et que vous des symboles V et Ʌ, qui me semblent utiles, surtout pour les fonctions propositionnelles, où ils signifient : toujours vrai et toujours faux. Par exemple,

j’écris volontiers φx =x V

aussi bien que : φx =x Ʌ.

Est-ce qu’il n’y aurait pas là le moyen le plus simple de traduire dans le symbolisme Peano le signe de généralité de Frege ?? ?

J’ai vu que vous le traduisez par (x) . φx, mais cette notation ne me plaît guère, car elle semble faire de x un facteur de φx. Voyez-vous quelque inconvénient à la notation que j’emploie, et que je n’ai pas inventée ?

Enfin, n’y aurait-il pas moyen d’introduire par là plus de symétrie dans l’expression des propositions universelles et particulières ? Je prends pour exemple :

$\breve {ρ}$u = y ɜ [Ǝux ɜ (xRy)]

u$\breve {ρ}$ = y ɜ [x ε u . ⸧x . xRy]

La 1e P signifie : $\breve {ρ}$u = conséquent de QUELQUE u; la 2e : u$\breve {ρ}$ = conséquent de TOUT u. Cette opposition de tout et de quelque n’est pas bien marquée par les signes ⸧x, d’une part, et, Ǝux d’autre part.(1) Elle était bien plus claire avec les notations de Schröder :

Πφ (x) , Σφ (x) .

qui signifiaient respectivement φx est vraie pour tout x ; φx est vraie pour quelque x. N’y avait-il pas moyen d’introduire cette notation, ou une notation analogue, dans le système Peano ? Je sais bien qu’on y a ∩’, ∪’, mais ces signes (d’ailleurs peu commodes et peu clairs) paraissent réservés aux classes et aux relations. Pourquoi ne pas les appliquer (eux ou de meilleurs) aux fonctions propositionnelles ?

— Je vous envoie ci-joint le résumé, en symboles, de ma Logique mathématique, ou plutôt la liste des Df, Pp et P que j’y énonce ; cela vous donnera une idée du contenu et de l’enchaînement des idées. J’ai essayé d’asseoir le Calcul des P et des Cls sur des principes aussi évidents que possible, sans chercher à en réduire le nombre au minimum : mon but est surtout didactique et vulgarisateur, vous le savez. Je serais heureux d’avoir votre avis sur l’ordree que j’assigne aux notions et aux Pp. Vous devinerez aisément le développement. C’est une amplification de mon 1er article, sur les Principes de la Logique.

Ne vous pressez pas de me répondre : je vais être en voyage du 1er au 10 juillet, et par conséquent ne travaillerai pas. Je vous prie de m’envoyer votre réponse, avec le brouillon de 8 pages que je vous soumets, à mon adresse à Paris (ma rue s’appelle maintenant: rue Pierre Nicole pour éviter des confusions malheureusement fréquentes).

Excusez cette avalanche de questions et de remarques, et croyez-moi, cher Monsieur, votre bien dévoué

Louis Couturat

P. S. Encore une remarque : je n’aime pas votre symbole Elm : il n’est pas correct de dire d’une classe qu’elle est un élément (voyez ce que je dis plus haut des individus et des classes).(2) On veut dire qu’une classe est singulière, ou ne contient qu’un élément ; c’est pourquoi j’emploie la notation ε1 , d’ailleurs conforme à votre théorie.

Je serai heureux de savoir à quelle conclusion vous êtes arrivé au sujet de l’axiome V de Frege :

φx = ψx . ⸧ . x ɜ φx = x ɜ ψx

Je sais que l’on ne peut pas affirmer l’égalité des deux membres, en particulier l’implication inverse ; mais peut-on affirmer la susdite implication ? Il y a là deux graves questions : une fonction propositionnelle détermine-t-elle une classe ? Une classe détermine-t-elle une fonction propositionnelle ? Une classe de couples détermine-t-elle une relation ? Je sais que vous étudiez à fond ces questions, et j’espère que vous pourrez me donner une réponse catégorique. Je tiendrais beaucoup à ce que mon opuscule pût tenir compte des derniers résultats de vos recherches, afin qu’il ne fût pas contredit par ce que vous publierez bientôt (votre vol. II).

Autre remarque : Vous dites, après Peano, qu’une relation symétrique et transitive est réflexive, si son champ contient plus d’un terme. Mais, dans la démonstration du principe d’abstraction, vous déduisez de l’Hp : R2R . R = cR . ƎR

la conséquence :

x ε ρ . ⸧x . x ε cρx

c. à d. : « tout antécédent de R est son propre conséquent ». De deux choses l’une : ou bien l’Hp est insuffisante, et la déduction incorrecte, ou bien le théorème cité est encore vrai quand le champ ne comprend qu’un seul terme. Et en effet, ce seul terme est nécessairement alors l’antécédent et le conséquent de la relation : xRx. Je crois donc que le théorème doit s’énoncer ainsi : « Toute relation symétrique et transitive non nulle est réflexive ». N’est-ce pas votre avis ?

— Je me demande si l’on ne pourrait pas traduire le signe ⊢ de Frege enf employantg x = ∨ comme distincte de x ?

[extrait de la lettre à M. Burali-Forti, 19 juin 1904]

... Vous dites que dans Ǝx ɜ Ǝy ɜ l’existence de y est subordonnée à celle de x, et que cela introduit un ordre entre x et y. Mais je crois qu’on pourrait aussi bien écrire Ǝy ɜ Ǝx ɜ , avec le même sens, et dans ce cas l’existence de x serait (ou paraîtrait) subordonnée à celle de y; ce qui prouve qu’en réalité aucune des deux n’est subordonnée à l’autre. — Je vais plus loin : admettons que l’existence de y soit subordonnée à celle de x dans la susdite notation. Qu’est-ce qui m’empêche, même alors, de substituer permuter y et x dans la parenthèse, et d’écrire :

u = z ɜ Ǝx ɜ Ǝy ɜ (z ε u . = : y ε a . x ε b)

et alors j’aurai le couple (y ; x) au lieu du couple (x ; y), et indiscernable du couple (x ; y). C’est là mon objection : le couple tel que vous le définissez est symétrique, on a : (x ; y) = (y ; x), tandis que la relation est asymétrique(3) (en général), et l’on n’a pas (en général) xRy = yRx, puisque cette égalité caractérise les relations symétriques. Je conclus que dans l’idée de couple figure une notion indéfinissable, celle d’ordre, de sorte qu’il n’y a aucun avantage logique à substituer l’idée de couple à celle de relation. On peuth choisir entre les deux, et le choix doit être déterminé par des raisons extra-logiques. Une de ces raisons (et la principale) me paraît être celle-ci : si vous définissez la relation par son extension, comme classe de couples, vous ne pourrez plus discerner deux relations qui auront la même extension. Or je crois qu’on peut concevoir des relations diverses qui aient la même extension ; par exemple, divers ordres dans une même classe, les couples restant les mêmes. D’ailleurs, pour se limiter au cas d’un seul couple, suffit-il de donner 2 objets x, y pour se donner leur relation, ou même pour déterminer leur relation ? Evidemment non, car la notation de ces deux objets n’implique pas leur relation (sauf dans l’hypothèse de Leibniz, critiquée par M. Russell), et ces mêmes objets peuvent avoir plusieurs relations. Par exemple, x peut être le père de y, il peut être aussi son professeur, son prédécesseur, etc. ; x peut être le nombre double de y, il peut aussi être son carré, ou encore son consécutif dans la suite des nombres pairs (x = 4, y = 2) ...

Lettre à M. Burali-Forti, 19 juin 1904.

(1) Ǝux ɜ (xRy) . = . x ε u . xRy . − =x Ʌ. On a peut-être eu tort de remplacer − = Ʌ par Ǝ.

(2) On a ce paradoxe, que ιx ε Elm , mais qu’on ne peut pas écrire : x ε Elm !

(3) non symétrique, dans le vocabulaire de M. Russell.

Notes

a[tandis que] b{et hors} c[a]{aura} d[un]{d’} e[assi]{que} f[distinguant]{employant} au-dessous de la ligne g{comme distinct} au-dessous de la ligne h[il faut]{on peut} au-dessous de la ligne

Publication
Schmid, Russell—Couturat 2: #140
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53237
Record created
Jul 28, 2003
Record last modified
Nov 29, 2025
Created/last modified by
blackwk