BRACERS Record Detail for 53235
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LOUIS COUTURAT TO BR, 6 JUNE 1904
BRACERS 53235. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #138
Edited by A.-F. Schmid
Toujours (jusqu’à fin août) :
Villa Graziella, Bois le Roi
(Seine & Marne)
6a juin 1904.
Cher Monsieur,
Tous mes remerciements pour votre réponse précise et complète. Le lendemain du jour où je vous ai écrit, j’ai reçu une réponse de M. B.-F. dont je dois vous faire part. Après avoir corrigé (comme vous-même) le signe ⸧ mis par lui au lieu de = dans la définition :
a, b ε Cls . ⸧ . (a ⸵ b) = ℩ Cls ∩ u ɜ [u = z ɜ Ǝx ɜ Ǝy ɜ (z ε u . = : x ε a . y ε b)] Df
il reconnaît que x ε a . y ε b est commutable ; mais il objecte que dans Ǝx ɜ Ǝy ɜ … l’existence de y est subordonnée à celle de x, et que c’est cette subordination qui donne lieu à l’ordre binaire, et empêche de permuter a et b dans (a ⸵ b).a Cette réponse ne me semble pas satisfaisante, car, comme je lui ai déjà dit, je ne vois pas en quoi ƎxƎy ɜ … diffère de ƎyƎx ɜ … L’ordre dans l’écriture n’importe pas, c’est l’ordre dans la distinction des idées. Je crois donc avec vous que rien dans cette définition ne permet de distinguer (a ⸵ b) de (b ⸵ a) , ni (x ; y) de (y ; x). Je vous rappelle que M. B-F. définit : x ⸵ y = ℩ (ιy ⸵ ιx) d’où il déduit :
a, b ε Cls . ⸧ . (a ⸵ b) = (x ; y) ɜ (x ε a . y ε b)
On pourrait essayer de prendre cette dernière P pour définition de (a ⸵ b) , et définir autrement (x ; y) mais je crois qu’on aurait toujours (x ; y) = (y ; x), c. à d. au fond : (x ; y) = ιx ∪ ιy = ιy ∪ ιx.
Quant à votre objection formelle touchant la correction de la Df, elle me paraît juste.
— La lettre de M. B.-F. ne paraîtra pas dans la Revue de Métaph. ; je ne l’ai même pas proposée, étant sûr d’avance de la réponse ; et je l’ai dit tout de suite à M. B.-F. Naturellement, il aurait fallu publier aussi votre réponse ; mais cette discussion n’aurait pas intéressé la très grande majorité des lecteurs de la Revue, qui ne peuvent même pas lire les symboles Peano, et qui trouvent qu’il y en a déjà beaucoup dans mes articles (aussi suis-je obligé de traduire chaque formule en « prose »).
— Je travaille en ce moment à mon 3e article (IV. Le continu ; V. La grandeur). Dans V, j’expose la théorie de Burali-Forti après la vôtre, en disant que la vôtre, fondée sur l’idée primitive d’inégalité, s’applique à toutes les grandeurs, intensives et extensives, tandis que celle de B.-F. fondée sur l’idée d’addition (au moyen de laquelle il définit l’inégalité) s’applique spécialement aux grandeurs extensives. A ce propos, je n’ai pas trouvé dans votre livre que vous fassiez une distinction précise entre gr. intensives et extensives. En faites-vous une, et laquelle ? — J’ai étudié encore une fois les rapports du nombre et de la grandeur, et ma conclusion, intermédiaire entre votre théorie et celle de B.-F., est celle-ci : Le nombre entier cardinal est indépendant de l’idée de grandeur ; mais les autres espèces du nombre (généralisé) ne se justifient que par l’idée de grandeur, comme opérations sur les grandeurs (selon B.-F.) ou comme relations entre les grandeurs (selon vous). Bien entendu, cette conclusion n’est pas formulée au point de vue logique (auquel les deux théories contraires sont également valables), mais au point de vue épistémologique.
Votre remarque à propos de Darapti m’amuse. Je vous rappelle que nous devons nous abstenir de toute assertion doctrinale, surtout non unanimement acceptée. Ainsi j’ai dû supprimer les mots « à tort » dans les articles Baralipton, etc., où je disais que ces modes étaient considérés à tort comme de la 1e figure, et l’on me chicane encore sur le peu que j’en dis. Je crois vous avoir dit que nous avons eu à livrer bataille contre tous nos collègues pour soutenir notre opinion (exprimée dans la critique) qu’il n’y a pas d’autres définitions que les définitions nominales. Tout le monde croit qu’une définition consiste à analyser un concept donné, à l’épurer, ou même à le construire, et non pas à le nommer. On ne voit pas que toute Df réelle est une P, et une P absurde, qui consiste à dire : Tel concept vague, obscur, équivoque, égale tel concept précis et bien déterminé, que nous désignerons par le même nom pour ne pas heurter trop l’usage. N’est-ce pas votre avis ? Nous serions heureux de pouvoir citer votre approbation, probablement unique(1) ! Croyez-moi, cher Monsieur, votre cordialement dévoué
Louis Couturat
P. S. (7 juin.) Je reçois de M. Vivanti de Messine un mot de rectification historique, à propos de mon assertion (p. 17 du 2e article) que jusqu’en 1902 on ne pouvait pas affirmer l’équivalence des deux définitions de l’infini. Il dit que G. Cantor, dans son mémoire Math. Ann., t. 46 (1895), donne la définition cardinale [il veut dire sans doute : ORDINALE] de l’infini, et démontre que pour tout ensemble infini il y a un ensemble partiel équivalent à l’ensemble total. Il croit que quelque chose d’analogue se trouve dans Bolzano, Paradoxien des Unendlichen. Je vais vérifier les deux. Je vous signale cette rectification, pour que vous puissiez la vérifier vous-même au besoin.
(1) car nous allons avoir une 2e séance de discussion.
Notes
aCouturat a d’abord écrit 7 juin b[a ; b]
