BRACERS Record Detail for 53228
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Burali-Forti, Frege on geometry, Frege on functions. Nature of actual space is an empirical question.
BR TO LOUIS COUTURAT, 4 APR. 1904
BRACERS 53228. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #131
Edited by A.-F. Schmid
Ivy Lodge,
Tilford,
Farnham,a
4 avril 1904
Cher Monsieur,
Je vous renvoie aujourd’hui les opuscules que vous avez eu la bonté de m’envoyer. Je trouverai Huntington facilement dans la bibliothèque à Cambridge ; mais j’attendrai pour le lire jusqu’à ce que je m’occupe de nouveau de ce sujet. Le mémoire de Burali-Forti ressemble aux anciens ; cette méthode me paraît être sans erreur logique, mais aussi sans beaucoup de mérite. Je préfère commencer par ce qui estb plus simple, c. à. d. les nombres cardinaux, pour avancer ensuite aux idées plus compliquées. Du reste, ce qu’il appelle nombre intégrale,c c’est bien un être logique qui en possède beaucoup des propriété formelles ; mais ce n’est pas le nombre cardinald qui doit répondre à la question « Combien il y en a-t-il » ? Pour Frege, j’avais déjà vu ses articles sur la géométrie ; je suis complètement d’accord avec les opinions qu’il y exprime. Quant aux fonctions, il ne fait pas d’avance sur ce qu’il a déjà publié. Il est préférable, sur ce sujet, à tous les autres auteurs ; mais je trouve qu’il ne fait que poser le problème quand il croit le résoudre. C’est juste ce problème qui m’occupe dans le moment. Je crois entrevoir que c’est le problème capital non seulement de la mathématique, mais de la logique entière. Mais jusqu’ici je ne connais aucune théorie que je ne sais pas réfuter.
Quant à l’intuition et la géométrie de l’espace actuel, je suis d’opinion, comme vous le savez, qu’il n’y a pas d’intuition à priori qui affirme l’existence. Pour cette raison, je crois que la nature de l’espace actuel est une question empirique, et que nous n’avons, et ne pouvons avoir, aucune certitude que l’espace actuel est strictement euclidien. Cette question me paraît complètement analogue à la question de savoir si la loi newtonienne de la gravitation est exacte ou non.
Il y a une conséquence assez importante pour la théorie de la connaissance, qui résulte de la théorie moderne de la géométrie. Etant donné un espace euclidien, il y a entre les points d’un tel espace non seulement les relations qui engendrent l’ordre euclidien, mais aussi d’autres relations qui engendrent d’autres espaces. Tout espace continu contient 2α0 points : si vous prenez un tel espace et une telle classe quelconque de 2α0 points, il subsiste un relation univoque et réciproque entre les points de l’espace et les points de la classe. Soit S cette relation. Soit R une relation dont le champ est une droite dans l’espace. Alors $\breve S$RS sera une relation qui engendre une droite dans la classe ; et l’ensemble de relations telles que $\breve S$RS fera de la classe donnée un espace pareil à l’espace donné. Il s’ensuit que les points de l’espace actuel forment également des espaces d’espèces différentes, suivant les relations génératrices que l’on considère. Donc — et c’est là le point important — ce sont les relations, et non les points, qui caractérisent l’actualité de l’espace. Il est donc nécessaire d’admettre que la sensation — ou la perception, si vous le préférez — nous révèle des relations aussi bien que les termes des relations. Toute espèce de relations subsiste entre les points de l’espace actuel ; mais il n’y a qu’une espèce de relations que nous appercevonse immédiatement. La perception immédiate des relations* est (si je ne me trompe pas) une chose que Kant n’admet pas. Mais voici un cas où cette perception est évidente. Toute perception, du reste, affirme l’existence de quelquechose,f c’est à dire, affirme une proposition qui exprime une relation entre quelquechoseg et l’existence. Mais dans le cas de l’espace, il paraît que la chose dont on apperçoith l’existence est elle-même une relation.
Veuillez, cher Monsieur, présenter mes hommages à Madame Couturat, et recevoir l’assurance de mes sentiments cordiaux et bien dévoués.
Bertrand Russell.
* comme partie de la Sinnlichkeit
