BRACERS Record Detail for 53224
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Now BR is back at 14, Cheyne Walk.
His free trade campaign. Hasn't seen MacColl in Athenaeum, nor Frege's 2 new works.
BR TO LOUIS COUTURAT, 6 MAR. 1904
BRACERS 53224. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #127
Edited by A.-F. Schmid
14 Cheyne Walk,
Chelsea, S.W.
le 6 mars 1904
Cher Monsieur,
Je regrette beaucoup que je vous aie causé de l’inquiétude en ne pas répondant plus tôt à votre avant-dernière lettre. Le délai résultait exclusivement de mes occupations. Je me suis mis à faire des discours sur les avantages du libre échangea : j’ai eu toute espèce d’auditoire, des gens riches, des bourgeois, des œuvriers.b La nation entière s’occupe de cette question, et beaucoup de personnes qui, comme moi, ne s’occupent pas d’ordinaire de politique, ont pris part à la discussion. Heureusement, il paraît que le peuple se décide contre Chamberlain, et que nous touchons à la fin du régime réactionnaire. J’espère que nous verrons bientôt un gouvernement libéral aussi excellent que le vôtre. J’ai été très frappé de l’esprit sérieux que j’ai trouvé dans les meetings ; on écoute patiemment des arguments économiques qui demandent beaucoup d’attention, et on n’aime pas les orateurs qui se contentent de plaisanterie et de rhétorique. En somme, l’expérience a augmenté le respect que je ressens envers notre démocratie.
Quant à l’emploi d’un même signe en divers sens, il est possible que cette pratique soit commode dans un exposé sommaire et populaire. Mais dans un exposé complet et exacte,c elle entraîne des difficultés très graves, et rend le tout plus difficile et moins commode. Cette opinion résulte de l’expérience, et j’en suis certain. Souvent, quand on fait une telle concession à ce que l’on croit être commode, on continue longtemps sans en trouver les inconvénients ; mais tôt ou tard, on trouve qu’il est nécessaire d’exprimer dans la notation la distinction suprimée.d
Il n’est pas juste d’identifier les R. et les P., ou plutôt les fonctions Pelles. On a, il est vrai,
R ⪽ S . ≡ : xRy . ⸧x,y . xSy
mais on n’a pas R ≡ xRy. Du reste, si on avait une telle équivalence, on aurait
R ⪽ S . ≡ : xRy . ⸧ . xSy
ce qui est absurde, puisqu’on a les variables réelles x, y à droite, mais pas à gauche. Et évidemment on n’a pas R . ≡ . (x, y) . xRy. Il me paraît que vous vous laissez aller en ceci à l’ancienne habitude des mathématiciens, de confondre l’analogie et le parallélisme avec l’identité. Cette habitude est fatale en philosophie, et ne permet pas de fonder la mathématique d’une manière rigoureuse.
Je n’ai pas vu Mac Coll dans l’Athenaeum, ni les deux nouvelles opuscules de Frege. Si vous en avez des exemplaires dont vous n’avez pas besoin, j’aimerais beaucoup les voir. Je crois que Frege n’a aucun ami parmi les mathématiciens, car on ne voit jamais la moindre allusion à ses travaux. C’était pour moi un vrai plaisir de pouvoir le tirer de l’obscurité qu’il ne mérite nullement.
Commencer par les relations, ce serait commettre un grossier ὑςτερον προτερον. Car ce qu’il faut posséder avant tout, c’est la théorie de la déduction. Sans cette théorie, on ne peut conduire aucune démonstration. Il faut donc commencer par les Pp que je donne dans mon *2 ; et c’est une bonne règle de tirer des prémisses données toutes les conséquences que l’on peut, avant d’introduire d’autres prémisses. Il est vrai que ε, ⸧, etc. sont des relations. De même, les triangles sont des polygones, mais on déduit les propriétés des polygones en partant des propriétés des triangles. Et si on possédait toutes les prémisses propres aux relations, on n’en pourrait rien déduire si on ne possédait pas les règles de la déduction. Voilà pourquoi on commence par les P.
La démonstration des principes de contradiction et du milieu exclu sont très longues : vous devez les avoir lu dans le MS. que je vous ai envoyé — elles se trouvaient dans *5. On ne pourrait guère les extraire de leur contexte, car on emploie les P. précédentes dans les preuves. A ce moment, le MS. se trouve à Cambridge, et je ne me rappelle plus les étapes de la déduction. Mais si vous avez une liste des P., vous la retrouverez facilement. Quant à l’impossibilité de se passer du principe de réduction ou d’un principe équivalent, il n’en existe aucune démonstration. En pareil cas, on ne peut avoir d’évidence : il est toujours possible qu’un logicien plus habile trouve une déduction. Voir mon § 17.
La question que vous posez au sujet de l’existence me paraît reposer sur une confusion. L’existence mathématique s’applique à une classe : on dit Ǝ a quand x ε a n’est pas toujours fausse : on peut mettre
Ǝa . = :. x ε a . ⸧x . p : ⸧p . p Df
ou bien Ǝa . = . ~ {(x) . x ~ ε a} Df
On démontre l’existence dans ce sens par les méthodes indiquées dans mon § 474. Mais l’existence dans le sens philosophique est toute autre chose : elle s’applique à un individu, p. ex. Socrate. C’est cette espèce d’existence qu’apprend l’expérience. Jee soutiens que l’existence dans ce sens ne se démontre jamais à priori. C’est dans ce sens qu’on désire démontrer l’existence p. ex. de Dieu. Pour l’existence mathématique, on a 0 = ιɅ Df
1 = u ɜ [Ǝu ∩ x ɜ (u – ιx ε 0)] Df
2 = u ɜ [Ǝu ∩ x ɜ (u – ιx ε 1)] Df etc.
d’où ⊢ Ǝ0 [⊢ Ʌ ε 0 . ⸧ . ⊢ Prop]
⊢ Ǝ1 [⊢ ιɅ ε 1 . ⸧ . ⊢ Prop] etc.
On déduit finalement Ǝα0, Ǝω, etc.
Mais tout ceci n’a rien à voir à l’existence philosophique — 0, 1, etc. n’existent pas dans le sens philosophique. Il n’est pas juste de distinguer ces deux espèces comme existence réelle et existence idéale, car elles n’ont en réalité aucun rapport — ce n’est qu’un accident qu’on emploie le même mot dans les deux sens.
J’attends avec impatience votre deuxiêmef article. Veuillez présenter mes hommages à Madame Couturat, et recevoir mes sentiments les plus cordiaux.
Bertrand Russell.
