BRACERS Record Detail for 53221

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Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
BR
Sender(s)
Couturat, Louis
Date
1904/02/11
Form of letter
ALS(X)
Pieces
4
Transcription

LOUIS COUTURAT TO BR, 11 FEB. 1904
BRACERS 53221. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #124
Edited by A.-F. Schmid


Paris,
le 11 février 1904.

Cher Monsieur,

Il y a longtemps que je ne vous ai ennuyé de mes questions ; vous me permettrez de venir vous déranger un peu, à l’occasion de mon premier article, dont je vous envoie un tirage à part. Je vous prie de me dire ce que vous en pensez, et ce que vous trouverez à y reprendre. Je tâcherai de profiter de vos observations quand je réunirai ces articles en volume. Les seules observations que j’aie reçues jusqu’ici sont des demandes d’éclaircissements et de démonstrations. Le sujet est si nouveau pour mes lecteurs que, bien que je me sois efforcé d’être clair et élémentaire, cela les dépasse encore. Vous voyez si j’ai raison de dire que vos idées ont besoin d’être vulgarisées. A ce propos, je vous annonce que je vais publier dans la collection Scientia (petits volumes de 100 pages, à 1 fr. chez Naud) un opuscule sur la Logique mathématique, où j’exposerai en détail le symbolisme de Peano et le vôtre (pour la Logique des relations).

— Mona second article porte sur les idées de nombre et d’ordre.

— Suivant votre conseil, j’ai lu, depuis que je vous ai écrit, tous les ouvrages de M. Frege (sauf les 2 mémoires de Iéna), et je m’en félicite. Je suis à présent partagé entre une vive admiration pour la rigueur logique de l’auteur et la fermeté de ses opinions philosophiques, et une répugnance invincible pour son symbolisme. Celui-ci me paraît horriblement obscur et compliqué ; ce n’est pas encore tant les  qui  m’effraient (bien que, quand ils sont agrémentés de signes de négation, ils soient assez difficiles à interpréter couramment) que les signes spéciaux qu’il emploie à l’intérieur des propositions mathématiques. Vraiment, il est impossible de choisir des signes plus incommodes, plus artificiels, et moins appropriés aux idées représentées. On constate ainsi l’importance, proclamée par Leibniz, du choixb de symboles commodes et expressifs. Et on apprécie encore plus, à cet égard, votre notation si claire des relations, qui s’apprend et se lit si facilement, et qui parle aux yeux. Il me semble que votre notation permet dc’exprimer toutes les propositions et démonstrations de Frege : vous devez vous en être assuré. Je vois d’ailleurs que vous lui avez fait des emprunts pour votre Vol. II : le signe ⊢ , dont nous avons déjà parlé, et le signe (x) . φ(x) , que je ne trouve pas très heureux.

Je ne suis pas sûr d’avoir tout compris dans le Gg, car l’auteur s’y explique assez mal, avec fort peu d’ordre, et avec des longueurs et des subtilités qui me semblent inutiles (par ex. sa manie de considérer chaque prop. comme un nom propre du vrai ou du faux l’entraîne dans des énoncés obscurs et compliqués). Ainsi, il ne dit nulle part explicitement la différence qu’il fait entre les lettres latines, grecques et allemandes (au point de vue du sens, non au point de vue de la manipulation). Je vois bien que les lettres allemandes s’emploient pour indiquer la généralité. Il me semble que les lettres latinesd serventeà indiquer quelque valeur des variables, et que les lettres grecques servent seulement à marquer la place des variables (Argumentstellen), mais je n’en suis pas sûr. En tout cas, c’est bien incommode, car on voit souvent la même formule reparaître avec 4 ou 5 contenus différents (majuscules grecques, minuscules grecques, lettres latines, lettres allemandes) ce qui rend l’identification difficile. J’ai rédigé un brouillon du chapitre que je dois consacrer à Frege dans mon ouvrage historique (surtout d’après les Gg). Je me propose en outre de publier un article sur les théories logico-math. de Frege (sans employer aucun symbole), et je vais tirer grand parti des Gl (le plus intéressant de ses ouvrages au point de vue philosophique) pour mon article sur Kant. Il est curieux de voir que Frege est arrivé dès 1884 à la même conception du nombre cardinal que vous.

Recevez, cher Monsieur, avec mes vœux pour vous et pour Madame Russell, l’assurance de mes sentiments bien cordiaux.

Louis Couturat

P. S. Vous n’avez pas relevé l’emploi que je fais du signe ’ pour la négation. Mais je le supprimerai, et je reviendrai au signe – de Peano, parce que seul ce signe est uniforme et s’applique à tout. Ainsi j’ai dû employer le signe ≠. C’est un reste de mes habitudes schröderiennes !

— Oui, mon paragraphe final a été fait pour « éveiller » les sectateurs de la vieille Logique, pour « casser les vitres » comme on dit, et faire de la réclame à la Logique nouvelle. Autrement, bien des gensf m’auraient dit : « A quoi bon ce symbolisme ? Est-ce que l’on n’arrivait pas aux mêmes résultats avec le bon vieux syllogisme ? » Il faut absolument déraciner ce lieu commun, que la Logique formelle consiste dans le pr. d’identité et dans le syllogisme (ramené faussement au pr. d’identité). C’est là la racine du kantisme. — Vous verrez dans le prochain article (idée de nombre et idée d’ordre) que je réfute en passant Poincaré, qui a cru que le raisonnement par induction est synthétique (toujours par l’influence de Kant, et surtout de Boutroux). Si je m’attaque à si forte partie, c’est encore pour exciter l’attention et piquer la curiosité. Poincaré est un oracle pour les lecteurs de la RMM, et Boutroux aussi. Or leurs théories sont absolument contraires à la fois à la vraie science et à la saine philosophie. Je veux les miner par la base. Un de mes amis me disait, en parlant de mes articles : « C’est du contre-poison ». Il faisait allusion au nominalisme de Poincaré et à l’agnosticisme mystique de Le Roy. Il est juste que je vous renvoie le compliment : je ne suis qu’un interprète.

Textual Notes

  • a

    Mon [suivant votre cons]

  • b

    choix {du choix}

  • c

    de rature

  • d

    latines [grecques]{latines}

  • e

    servent [seul]

  • f

    gens [me dir]{m’auraient dit} au-dessous de la ligne

Publication
Schmid, Russell—Couturat 2: #124
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53221
Record created
Aug 23, 1993
Record last modified
Nov 13, 2025
Created/last modified by
blackwk