BRACERS Record Detail for 53216
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LOUIS COUTURAT TO BR, 19 NOV. 1903
BRACERS 53216. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #119
Edited by A.-F. Schmid
Paris,
19 novembre 1903.
Cher Monsieur,
Il y a plaisir et profit à discuter avec vous, et je ne regrette pas de vous avoir assailli de mes objections, puisqu’elles ont suscité des lettres aussi instructives. Toutes vos réponses me paraissent justes et fortes ; je ne peux pas dire que je suis convaincu, dès la première lecture, mais je les ruminerai et pense y trouver le réconfort dont j’avais besoin. Il me semble, comme à vous, que le nombre un est distinct de l’espèce d’unité qu’on attribue aux individus, et lui est postérieur logiquement ; et je goûte beaucoup la distinction de x et de ιx, le nombre étant la propriété de la classe, non de l’individu. Je suis disposé à admettre que je commets une inférence inconsciente lorsque, voyant x et y, je me dis : « Cela fait deux », et je reconnais la contradiction qu’il y a à dire, d’abord, qu’ils font deux, et ensuite qu’ils ne font plus qu’un. Enfin ce que vous me dites à propos de Kant me semble péremptoire. L’essentiel du kantisme est en effet de n’admettre que l’intuition sensible, et de fonder sur elle toutes les Math., y compris l’Arithmétique (ce que, vous le savez, je n’ai jamais admis, même lorsque je me plaçais au pont de vue kantien). On peut donc tout au moins soutenir que l’idée de multiplicité est une synthèse intellectuelle, et non imaginative. Maintenant, y a-t-il tout de même synthèse ? C’est une autre question : la notion de synthèse est si obscure, la distinction des jugements analytiques et synthétiques est si fallacieuse (si vide même, au fond), qu’on risque de disputer sur des mots. Votre argument « la pensée d’une multiplicité n’est pas une multiplicité de pensées » est ingénieux ; on objectera pourtant que, quand je pense une classe, j’en pense (au moins implicitement) les éléments ; à moins qu’on ne rejette entièrement la conception extensive des classes, et qu’on ne considère une classe que comme concept ou comme fonction logique(1). Enfin, je réfléchirai sur tout cela. Votre réponse m’encourage à entreprendre mon article sur Kant ; je vais me plonger dans Vaihinger, et j’espère que mon opinion résistera, grâce à vos arguments, aux raisonnements kantiens. Pour le moment, je n’ai plus rien à vous objecter ; je vous tiendrai au courant de mes travaux et de mes opinions.
J’ai reçu hier le § 10 (fonctions), et vous remercie vivement d’avoir répondu si promptement à mon désir indiscret. Malheureusement, il ne m’a pas beaucoup éclairé, parce que c’est surtout le passage des fonctions aux classes qui m’intrigue. Mais je n’en ai pas besoin à présent, ni pour mon compte-rendu (forcément très élémentaire, si je veux être lu et compris), ni pour mon article sur Kant. Je laisserai de côté, dans mon compte rendu, toutes les difficultés et subtilités logiques, pour insister sur les principes des mathématiques, qui sont la partie la plus importante de votre travail au point de vue de la philosophie générale.
Je renverrai dans quelques jours votre manuscrit du § 10 à M. Whitehead, comme le précédent, sauf avis contraire de votre part.
Je vous suis très reconnaissant de toutes vos explications : je souhaite que mes objections vous indiquent les points sur lesquels il importe d’apporter des éclaircissements, et vous servent au moins à quelque-chose. En tout cas, je vous prie de me croire
Votre cordialement dévoué
Louis Couturat
P. S. Je m’occupe de trouver en français des locutions courtes et claires pour les expressions techniques nouvelles. J’ai trouvé codomaine pour dire : les domaines de la relation converse. Mais je n’ai pas encore trouvé d’expression passable pour rendre : 1° many-one, 2° one-many et 3° one-one. 1° se dit uniforme ou univoque ; 3° se dit univoque et réciproque, ou biuniforme, mais pour 2° je ne trouve rien.
Referent et relatum ne peuvent pas passer au français ; je suis obligé de dire : antécédent et conséquent. En Esperanto, avec la racine verbaleaa rilat’ (être en relation avec), on peut former très correctement rilatant’ et rilatat’, qui sont clairs. D’où je conclus la supériorité de la L. I.... c.q.f.d., comme on dit en math.
(1) Ne vous donnez pas la peine de répondre à cette objection : je pense en trouver la solution dans votre livre.
Textual Notes
- a
verbale {verbale}
