BRACERS Record Detail for 53215
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Ms. Kant.
BR TO LOUIS COUTURAT, 18 NOV. 1903
BRACERS 53215. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #118
Edited by A.-F. Schmid
13 Cheynes Walk
Chelsea S.W.
le 18 novembre ’03.
Cher Monsieur — Je me réjouis de ce que vous vous rangez de mon côté sur la plupart des questions en dispute, et je crois pouvoir dissiper vos nouveaux scrupules. J’ai considéré la question que vous posez assez longuement : voir §§ 490, 496, et surtout 128. [En parenthèses : L’idée de classe peut bien être fondamentale, mais l’idée de fonction doit être fondamentale quand-même ; il est impossible de se passer d’elle. Si les deux sont fondamentales, il vous faudra un axiome pour montrer que la fonction x ε a . x ε b détermine une classe, et ainsi de suite. Pour éviter la contradiction, il vous faudra délimiter une espèce de fonctions qui ne déterminent pas de classes ; or ceci est très difficile.] Pour le nombre 1, votre énoncé verbal ne représente pas les idées qu’il faut exprimer. On pourrait voir ceci d’après la contradiction implicite : « Si deux individus appartiennent à la classe a, ils sont identiques » ... mais alors il n’y a qu’un individu. Ce qu’il y a de fondamental, c’est l’idée de la variable indépendante, qui a pour valeurs tout ce qu’il y a au monde ou dans le royaume des idées. On ne doit pas dire que la variable prend telle valeur, car elle est impartiala envers ses valeurs : elle ressemble plutôt à une disjonction. Le problème de l’unité et de la multiplicité — antique problème ! — se résout comme suit. (1) « Ens et unum convertuntur » s’applique à un sens de unum qui n’est pas en question en Arithmétique, à moins qu’il ne repose sur une confusion de x et ιx , et qu’il doive s’exprimer : « x est ens . ⸧ . ιx est unum » ; mais ceci n’est pas un axiome fondamental, mais une déduction. (2) Dans le vrai sens, les nombres, 1 ainsi que les autres, s’appliquent aux classes exclusivement ; l’idée opposée repose sur la confusion d’x avec ιx. On voit ceci par le fait qu’une classe de plusieurs termes peut être membre d’une classe de classes : donc, si le sens d’un qu’on emploie en parlant d’« un terme » était le sens arithmétique, la dite classe aurait en même temps le nombre 1 et un autre nombre, ce qui est impossible. (Considérons p. ex. l’énumération des combinaisons qu’on peut former avec les membres d’une classe donnée : chaque combinaison, avec certaines exceptions, contient plusieurs membres, mais ne contribue qu’un terme au nombre des combinaisons.) Dans le sens où x et y sont des individus, les classes sont comprises parmi leurs valeurs, les classes plurielles ainsi que les classes singulières ; donc, x n’est pas un dans le sens qu’il nous faut.
Je dirais aussi ceci, qui a une portée générale : Il se peut bien qu’il y ait une connexion logique si intime entre deux idées que l’une implique l’autre et vice versa, sans qu’il soit nécessaire de les prendre toutes deux comme fondamentales. Qu’on pense à un en posant x, et à deux en posant x, y, je ne le nie pas ; je nie seulement que cette pensée soit logiquement nécessaire, c’est à dire qu’elle fasse partie de ce qu’on désire exprimer par les symboles. Quand je pose x, y, vous vous dîtesb : « voilà deux variables ». Mais c’est là une déduction rapide et presqu’inconsciente ; vous n’avez nullement besoin de le penser, et le fait qu’il y a deux variables ne s’emploie pas dans le raisonnement.
Autre considération générale : Admettons, ce qui est probable, que l’idée de classe soit primitive et indéfinissable, et qu’elle est la source de l’idée de multiplicité et des nombres : ce serait, comme tout indéfinissable, un élément intuitif, et on ne saurait construire un système sans de tels éléments. Mais ce qui distingue la thèse kantienne, c’est de trouver ces éléments dans l’espace et dans le temps, au lieu de les trouver dans la logique. Or, l’idée de classe appartient à la logique et non pas à l’espace ou au temps. Donc, vous ne donnez pas raison à Kant en l’admettant comme idée primitive. — Quant à la synthèse intellectuelle, remarquez l’argument suivant : la pensée d’une multiplicité n’est pas une multiplicité de pensées ; donc, ce n’est pas une synthèse intellectuelle (synthèse de pensées) qui donne lieu à la multiplicité, qui réside dans l’objet de la pensée d’une multiplicité, et non pas dans la pensée. Il en est de même des relations : l’idée d’une relation entre a et b n’est pas une relation ou une idée de relation entre l’idée d’a et l’idée de b. Cet argument suffit à lui seul à ruiner Kant, car il montre que la relation se trouve dans l’objet de la pensée, non pas dans la pensée.
Je vous prie de renouer vos objections, si elles persistent, et de croire à mes sentiments cordiaux et dévoués.
Bertrand Russell.
La section sur les classes reste en désordre : je ne me suis pas encore décidé entre diverses méthodes.
