BRACERS Record Detail for 53207

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Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
Couturat, Louis
Sender(s)
BR
Date
1903/10/05
Form of letter
ALS(X)
Pieces
4
BR's address code (if sender)
LCW
Notes and topics

Previously, Russell was at 14, Cheyne Walk; now it is 13. Imperialism. Protectionism. Intuition. Guided by aesthetic maxims.

Transcription

BR TO LOUIS COUTURAT, 5 OCT. 1903
BRACERS 53207. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #110
Edited by A.-F. Schmid


[mon adresse jusqu’au 1 février]
13, Cheyne Walk,a
Chelsea, S.W.
le 5 octobre 1903.

Cher Monsieur

Votre aimable lettre du 20 septembre m’a fait beaucoup de plaisir. Oui, je suis revenu complètement, comme beaucoup d’autres Anglais, de l’impérialisme, qu’avait suscité le spectacle de la patrie en danger. On se trompe si on croit que Chamberlain est tombé : il a encore toujours une influence énorme, et on aura à lutter contre ses projets autant qu’il ne sera pas mort. Heureusement il commence à vieillir. Pour ma part, je déteste le protectionnisme : il y a sans doute des nationsb où il est utile pendant quelques années, mais la réfutation économique me paraît parfaitement juste à la longue. En Angleterre, c’est au fond la jalousie de l’Allemagne et des Etats-Unis qui le nourrit : si on l’adopte, il causera beaucoup de misère, il donnera de l’encouragement à la paresse intellectuelle des fabricants, et il nourrira les haines internationales, qui sont peut-être ce qu’il y a de pire dans la civilisation moderne. Mais je crois qu’on ne l’adoptera pas.

Quant à mon livre : il n’existe pas de mot commun en Anglais pour traduire suite ou Folge : on emploi series dans les deux sens. — J’avoue que j’ai mal fait d’employer le mot continuité provisoirement dans le sens de compact. — Quant à l’ordre, je crois que ce qui est essentiel, c’est qu’il y ait un terme entre deux autres : c’est pour cela que je demande trois termes, et je ne crois pas m’éloigner de l’usage en ceci — je dirais plutôt que l’usage hésite entre les deux sens. — Pour l’intuition, je crois aussi qu’elle est essentielle comme support subjectif de tout raisonnement. Mais je dirais : (1) que bien des choses qu’on croît intuitives avant d’y réfléchir se trouvent finalement très compliquées ; (2) que c’est l’intuition du savant, et même du savant qui a analysé le plus les faits logiques, qu’on doit adopter ; (3) que souvent il vaut mieux ne pas prendre comme prémisse la vérité qui paraît la plus intuitive,c mais une autre qui lui équivaut au point de vue logique, et qui est plus simple dans le sens logique. Car la simplicité logique est tout autre chose que l’évidence intuitive. Ce qui est essentiel, c’est qu’il y ait assez d’évidence intuitive pour supporter l’édifice ; mais il n’est pas nécessaire que toute l’évidence se trouve dans les prémisses. Du reste, une proposition peut paraître très difficile un jour, et devenir lumineuse le lendemain — c’est une question toute subjective. Pour ma part, je me suis guidé beaucoup par des maximes esthétiques. Telles sont : qu’il vaut mieux introduire les propositions indémontrables aussi tôt que possible, et ne pas les éparpiller parmi les déductions ; qu’il est bien de prendre comme indémontrables des propositions qui ne contiennent que très peu des idées dérivatives que l’on définit — par exemple, que l’implication se trouve plus en place que la négation ou la disjonction ; que surtout il est bon de diminuer le nombre des propositions indémontrables, et que ceci demande un choix qui peut étonner le sens commun ; finalement, que l’évidence d’une proposition que l’analyse révèle comme très compliquée est souvent illusoire, et qu’en tout cas il est bon d’éduquer l’intuition à l’appréhension de ce qui est simple au point de vue logique. Quand vous aurez mon deuxième volume, vous verrez (j’espère) comment le choix des axiomes contributd à l’unité du systême,e et à la construction d’un édifice régulier.

Veuillez présenter mes hommages à Madame Couturat, ainsi que les meilleurs souvenirs de ma femme, et me croire

votre cordialement dévoué
Bertrand Russell.

Notes

aAdresse imprimée brature c[s] d-esic

Publication
Schmid, Russell—Couturat 1: #110
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53207
Record created
Nov 19, 1996
Record last modified
Nov 26, 2025
Created/last modified by
blackwk