BRACERS Record Detail for 53172

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Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
BR
Sender(s)
Couturat, Louis
Date
1901/01/27
Form of letter
ALS(X)
Pieces
6
Transcription

LOUIS COUTURAT TO BR, 27 JAN. 1901
BRACERS 53172. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #75
Edited by A.-F. Schmid


7, rue Nicole, Paris. V.
27 janvier 1901.

Cher Monsieur,

Je vous remercie de votre lettre, qui m’a beaucoup intéressé à tous égards. En ce qui concerne Peano, je suis beaucoup plus disposé que vous ne croyeza à adopter votre opinion ; j’avais un peu exagéré la mienne en sens contraire, pour vous provoquer à la réplique. Votre opinion étant fondée sur la pratique a un grand poids, et j’en tiendrai compte quand j’aurai à parler de Peano. Maintenant, je vous prierai d’examiner si l’utilité de ce symbolisme s’étend à toutes les branches des Mathématiques, ou si elle est restreinte à certaines, qui, comme la théorie des ensembles, se rattachent à la Logique. Permet-il d’apporter plus de rigueur et d’éviter les paralogismes dans la théorie des équations différentielles ou dans la Géométrie analytique par exemple ? Je crois que vous avez raison sur la nécessité de distinguer ε ⸧ . Maisb il ne faut pas déprécier le système Boole-Schröder et le sacrifier au Peano ; il a son but et son utilité dans la Logique pure, comme l’autre dans les Math. Et la théorie des équations logiques a une grande importance, puisque tout problème logique se ramène à un système d’équations & d’inéquations. Poretsky prétend avoir trouvé le moyen de ramener les inéquations aux équations. J’en doute un peu, a priori.

Je viens de voir M. Lechalas, à qui j’ai fait lire la partie de votre lettre qui le concerne. Nous avons un peu discuté la question, et je me suis chargé de vous transmettre ses objections et ses doutes. Il désirerait d’abord voir la démonstration en règle de l’impossibilité de démontrer l’uniformité de la construction du quadrilatère sans recourirc à la 3e dimension : car sid votre démonstration de l’uniformité ... etc. implique la 3e dimension, elle ne suffit évidemment pas à prouver l’impossibilité d’une autre démonstration qui ne l’impliquerait pas. Il continue (non sans raison, ce me semble) à trouver cette proposition fort paradoxale : je lui ai objecté que le plan impliquait, par définition, une référence à l’espace à 3 dimensions ; il a reconnu lui-même que, dans votre démonstration,e les deux plans sont nécessaires justement parce que leurs géodésiques sont des géodésiques de l’espace, de sorte que leur intersection ne peut être qu’une droite. Mais il se demande si l’on a aucun moyen, dans le plan, de définir projectivement une droite, ou plus exactement, le fait que 3 points sont en ligne droite. De plus, il remarque que, si l’on effectue la constructionf du quadrilatère sur la sphère euclidienne, avec des géodésiques de la sphère (qui ne sont pas des géodésiques de l’espace euclidien), cette construction sera encore uniforme, mais qu’on ne pourra plus démontrer cette uniformité par votre méthode, c. à d. par l’intersection de 2 sphères, puisque 2 sphères ne se coupent pas suivant leurs géodésiques. Donc, ou cette uniformité est indémontrable dans ce cas, ou bien elle doit pouvoir se démontrer autrement, sans sortir de la surface. — Voilà les réflexions assez spécieuses, je l’avoue, de M. Lechalas. J’espère que vous pourrez y répondre, et qu’en tout cas elles vous stimuleront dans vos recherches et vous suggèreront quelque aperçu nouveau.

— Si, comme il faut l’espérer, vous arrivez à vous entendre sur une conclusion précise et définitive, M. Lechalas a l’intention d’exposer la question et de résumer la solution dans un petit article de la Revue. Peut-être (cela dépendra du résultat) sera-t-il plus intéressant encore de présenter la discussion contradictoire, sous forme de dialogue en quelque sorte, oùg chacun de voush rédigerait ses thèses. En tout cas, je vous engage à conserver mes lettres, en prévision de ce travail, comme je conserve toutes les vôtres.

— Sur la question de l’homogénéité projective distincte de l’homogénéité métrique, vous êtes d’accord.

Pour la langue universelle, ou plutôt internationale, je crois que vous n’iappréciez pas suffisamment son utilité et l’étendue de ses applications. C’est d’ailleurs le défaut des savants, de croire que la L. I. doit être faite exclusivement ou surtout pour eux. Or les commerçants en ont encore plus besoin qu’eux, et sont beaucoup plus nombreux. Si vous leur ajoutez les voyageurs de commerce et les simples touristes, vous obtenez un nombre d’intéressés peut-être cent fois plus grand que celui des savants. Vous m’étonnez beaucoup en ne tenant pas compte de la commodité des voyageurs : vous affirmez que vous n’êtes pas gêné en voyage par l’ignorance de la langue du pays : je vous crois, mais c’est là un fait personnel (ou tout au plus national) qui fait honneur à l’esprit pratique et « débrouillard » de vos compatriotes. Pour moi et pour tous ceux qui voyagent à l’étranger, l’ignorance de la langue est non seulement un inconvénient très grave, au point de vue pratique et économique, mais un gêne, un supplice perpétuel pour l’esprit ; c’est l’isolement, le mur infranchissable qui vous sépare du peuple chez qui vous passez comme un être d’un autre monde. Rien ne vous fait sentir davantage que vous êtes étranger, dépaysé, « déraciné » ; et cela, même quand, comme moi, en Allemagne,j on connaît passablement la langue littéraire et scientifique. — Aussi la L. I. ne pourra jamais être trop simple et trop facile, afin qu’elle pénètre dans les couches moyennes de la société : car les savants eux-mêmes, et les commerçants encore plus, ont affaire à des gens d’instruction moyenne ou primaire. Notez bien que pour nous, qui savons une langue romanek et une langue germanique, nous pouvons nous débrouiller tant bien que mal dans toute l’Europe occidentale, deviner l’italien et l’espagnol ; mais vous-même, vous changeriez peut-être d’avis si vous voyagiez dans les pays slaves, où l’on n’a plus aucun point de repère, aucune racine commune. Vous disiez avec raison que nous ne pouvons nous mettre à apprendre les langues slaves ; mais si nous voulons que les Slaves apprennent la L. I., il faut bien que nous l’apprenions aussi. Les Russes, il est vrai, savent les langues occidentales ; aussi sont-ils moins gênés pour s’exprimer dans nos langues que pour nous faire lire la leur, mais ils souffrent sensiblement de ce que leurs ouvrages restent inconnusl au reste de l’Europe, et ils adopteront la L. I. pour leurs publications savantes, à la condition que nous en fassions autant. Bref, la L. I. peut seule être neutre, et ménager tous les amours-propres et intérêts nationaux.

Sur Cantor, je conserve encore des doutes : la classe classe est-elle déterminée, fermée en quelque sorte, de manière à posséder un nombre cardinal ? Est-ce que, si on la suppose donnée, je ne puis pas y ajouter un nouvel individu, à savoirm une classe qu’il me plaira d’imaginer, si fictive qu’elle soit ?

— J’ai écrit à M. Burali-Forti de vous envoyer ses articles sur les nombres transfinis, en disant qu’à son défaut je vous prêterais les miens. Il a dû vous les envoyer, car il ne m’a rien dit.

— Je trouve l’amnistie honteuse, parce que c’est la faillite de la justice, et qu’il semble impossible en France de frapper des coupables trop haut placés, ce qui est profondément immoral. Je sais bien que l’amnistie est la rançon politique de la loi sur les associations, dirigée contre le cléricalisme. Il est certain qu’elle passera ; mais il est à craindre que l’opinion publique, aveuglée par les sales journaux, n’y voie qu’une persécution, et que des représailles des dreyfusistes, complices d’un traître, vendus à l’étranger, etc. Voilà pourquoi on regrettera peut-être un jour de n’avoir pas fait la lumière complète sur l’Affaire, qui continuera à fausser et à empoisonner l’opinion. Me permettrez-vous d’exprimer un vœu en faveur de votre pays ? C’est que l’avènement du nouveau roi marque un changement de politique, et amène la paix par un arbitrage ou un compromis qui respecte la dignité et les droits de deux peuples inégaux en forces, mais égaux par le courage et par la gloire. Ce serait le meilleur moyen de réparer la triste et sanglante fin d’un règne mémorable et pacifiquement glorieux. Et ce serait peut-être aussi la plus habile politique.

— Je viens justement de recevoir les premières épreuves de votre mémoire ; je vous enverrai le tout ensemble, avec le manuscrit, et vous pourrez corriger comme il vous plaira. Je crois que vous feriez bien d’adopter pour signe de relation une espèce de lettres différente des autres (lettres grecques par ex., en réservant les lettres romaines et italiques pour les termes des relations.) Je serais d’ailleurs fort curieux de connaître votre symbolisme pour les relations. Vous pourriez l’exposer dans un article de Revue, quand il sera fixé. — Vous pourrez aussi faire une note renvoyant au mémoire Schröder, qui précède immédiatement le vôtre (je vous en enverrai une épreuve). Je préviendrai Schröder, qui y consentira certainement.

Je vais commencer à imprimer ma Logique de Leibniz, bien qu’elle ne soit pas tout à fait terminée, parce que l’impression durera 3 mois : cela fera un vol. de 600 p. grand in 8° (format de ma thèse). C’est énorme !

La Société de philosophie va se constituer officiellement ces jours-ci. Je ne crois pas qu’on élise tout de suite les correspondants. Je vous remercie de votre adhésion ; vous serez des premiers inscrits, et si vous passez sur le continent, vous serez le bienvenu, lors même que vous ne seriez pas encore nommé.

Veuillez présenter mes meilleurs hommages à Madame Russell, avec les amicaux souvenirs de ma femme, et croire toujours à mes sentiments bien cordiaux.

Louis Couturat

Notes

a{que vous ne croyez} au-dessous de la ligne b-crature d{si} erature f[au lieu du plan et]{on effectue la construction} au-dessous de la ligne g[rédigé par vous]{où chacun parle de vous} au-dessous de la ligne h[dev] irature j{en Allemagne} au-dessous de la ligne k[le latin]{une langue} au-dessous de la ligne lrature m{à savoir}

Publication
Schmid, Russell—Couturat 1: #75
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53172
Record created
Aug 20, 1993
Record last modified
Nov 24, 2025
Created/last modified by
blackwk