BRACERS Record Detail for 53167

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Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
Couturat, Louis
Sender(s)
BR
Date
1900/12/08
Form of letter
ALS(X)
Pieces
4
BR's address code (if sender)
FH
Notes and topics

Esperanto. Dedekind. Error in Cantor.

Transcription

BR TO LOUIS COUTURAT, 8 DEC. 1900
BRACERS 53167. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #70
Edited by A.-F. Schmid


Friday’s Hill.
Haslemere.a
le 8 décembre 1900.

Cher Monsieur,

J’ai été trop occupé dernièrement pour pouvoir répondre plus tôt à votre lettre au sujet de l’Esperanto. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt les brochures que vous m’avez envoyées ; c’est une langue extrêmement simple et ingénieuse. Je suis très favorable au projet, en ce qui concerne les livres des savants, et les mémoires des Sociétés scientifiques. Je le ferai connaître à mes amis, mais on est beaucoup trop conservateur chez nous pour adopter une pareille réforme dans les publications. Du reste, la plupart de nos savants ont appris le français et l’allemand, et ne voient pas de nécessité pour une langue universelle. Pour ces raisons, je crois qu’en Angleterre on fera très peu pour faciliter le projet. Je dois confesser moi-même que, puisqu’une langue universelle ne pourrait servir que pour les savants, je voudrais en voir une qui faciliterait la pensée, comme le fait, par exemple, le symbolisme de M. Peano (— selon moi du moins : je sais que vous ne l’aimez pas). Pour cela, ce qui est nécessaire, c’est une analyse des idées, et une abolition complète des inflexions. On n’aura jamais une bonne philosophie du temps jusqu’à ce que les philosophes ontb appris à penser par le moyen de verbes qui n’ont ni passé ni futur. La distinction des substantifs et des adjectifs aussi me paraît fatale pour la philosophie. Je trouve ces avantages chez M. Peano, et nulc part ailleurs. Il paraît donc qu’il faudrait, pour la philosophie et la mathématique, une autre langue universelle que celle qui servirait pour les autres sciences. Sans cela, si la langue ne fait qu’épargner la peine d’apprendre deux ou trois langues étrangères, je ne vois pas des très grande utilité dans le projet, qui n’épargne qu’un assez petit travail. Il n’est pas difficile de connaître trois langues à l’âge de 10 ans, et je crois que la connaissance des autres langues est utile en elle-même. Elle nous permet de connaître la littérature, qu’on ne peut jamais traduire sans perdre les trois quarts des beautés de l’original ; et elle affranchid nos pensées du joug de la grammaire, comme on l’a remarqué au sujet des philosophes grecques,e qui ne savaient reconnaître comme tel un pur jeu de mots. Cependant, je ne nie nullement que le projet soit bon ; en particulier si l’on pouvaitf le faire adopter aux Russes, aux Danois, etc. Car ce sera intolérable qu’il devient nécessaire d’apprendre aussi toutes ces langues barbares. Et malgrésg ces reservesh théoriques, je ferai autant de propagande que je le puis pour l’Esperanto.

Vous vous rappelez peut-être que nous avions discuté autrefois sur le postulat de Dedekind. Vous m’avez proposé une manière d’énoncer ce postulat qui employait la première dérivée de la série dont il est question. Mais cela présuppose (comme le font d’habitude les mathématiciens) l’existence des limites dans les cas où l’on peut les définir. Comme vous le signalez-vous même (R.d.M. et M. Mars, 1900) c’est là une supposition qu’on ne devrait pas faire. Voici donc, il me semble, la vraie manière d’énoncer le postulat « Une série est dite continue, lorsque, si on la divise en deux parties, dont tout terme de l’une précède tout terme de l’autre, alors, ou bien la première partie a un dernier terme, ou bien la seconde a un premier terme, mais les deux n’arrivent pas en même temps ». C’est là, je crois, ce que Dedekind avait confusément dans la tête.

J’ai découvert une erreur dans Cantor, qui soutient qu’il n’y a pas un nombre cardinal maximum. Or le nombre des classes est le nombre maximum. La meilleure des preuves du contraire que donne Cantor se trouve dans Jahresb. d. deutschen Math. Ver/g. I, 1892, p.p. 75–8. Elle consiste au fond à montrer que, si u est une classe dont le nombre est α, le nombre des classes contenues dans u (qui est 2α ) est plus grand que α. Mais la preuve présuppose qu’il y a des classes contenues dans u qui ne sont pas des individus d’u ; or, si u = classe, ceci est faux : toute classe de classes est une classe.

— Il y a aussi une erreur dans sa théorie des nombres réels. Il admet comme évident qu’une série dénombrable dont tous les termes sont le nombre rationeli r définiej un nombre réel qui n’est pas différent de r. Or ceci est faux. Mais pour développer cette erreur il me faudrait un argument assez long.

Nous avons eu une charmante visite de Halévy : lui et moi nous avonsk eu des excellentes discussions philosophiques. Nous espérons toujours recevoir vous et Madame Couturat à Cambridge au mois de février. Savez vous encore s’il vous sera possible de venir ? J’aimerais énormément vous montrer notre belle université, et discuter mainte questions de philosophie. Veuillez présenter mes compliments à Madame Couturat, et recevoir l’assurance de mon cordialel dévouement.

Bertrand Russell.

Notes

aAdresse imprimée b-esic frature g-jsic krature lsic

 

BR TO LOUIS COUTURAT, 8 DEC. 1900
BRACERS 53167. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse
Translator unknown


08 12 1900

Dear Sir,

I have been too busy lately to reply sooner to your letter about Esperanto. I have read the pamphlets you sent with much interest; it is an extremely simple and clever language. I am very much in favour of the project, in so far as it concerns scholarly books, and the proceedings of scientific societies. I will make it known to my friends, but it is much too conservative here for such a reform in publications to be adopted. Moreover, most scholars have learnt French and German, and see no need for a universal language. For these reasons, I think that in England little will be done to facilitate the project. I must confess, myself, that since a universal language would only serve for scientists, I would like to see one which would facilitate thought, like, for example, M. Peano’s symbolism (in my view at least: I know you don’t like it). For this, what is necessary is an analysis of concepts, and a complete abolition of inflections. We will never have a good philosophy of time until philosophers have learnt to think in terms of verbs that have neither past nor future. The distinction between substantives and adjectives also strikes me as being fatal for philosophy. I find these advantages in Peano, and not at all elsewhere. It seems, therefore, that philosophy and mathematics will need a universal language other than that which will serve the other sciences. Without this, if the language does nothing besides sparing the pain of learning two or three foreign languages, I do not see a very great value in the project, which only saves a fairly small labour. It’s not difficult to know three languages by the age of ten, and I think that knowing other languages is useful in itself. It allows us to become acquainted with literature which can never be translated without losing three quarters of the beauty of the original; and it frees our thoughts from the yoke of grammar, as we have noticed about the Greek philosophers who cannot recognize what is purely a playing with words. Still, I am not denying at all that the project will be good; in particular if it can be adopted by the Russians, by the Danish, etc. For it would be intolerable if it were necessary to learn all the barbarous languages also. And despite my theoretical reservations, I will do as much as I can to propagate Esperanto.

Perhaps you will recall that we once discussed Dedekind’s postulate. You suggested a way to state this postulate which used the first derivation of the series in question. But this presupposes (as mathematicians usually do) the existence of limits in the case where one can define men. As you indicate yourself (R.d.M. and M. Mars, 1900) that that is a supposition that one cannot make. Here is what seems to me, the proper way to state the postulate: “A series is said to be continuous, when, if we divide it into two parts, such that all the terms of one part precede all the terms of the other, then, either the first part has a last term, or the second part has a first term, but not both at the same time.” It is that, I think, which Dedekind has confused in his head.

I discovered a mistake in Cantor, which supports there being no largest cardinal number. But the number of classes is the greatest number. The best of the proofs to the contrary that Cantor gives is found in Jahrebenichte deutschen Math. Ver. I 1892, pp. 75–8. It consists, basically, in showing that, if u is a class of which the number is α, the number of classes contained in u (which is 2α) is larger than α. But the proof presupposes that there are some classes contained in u which are not elements of u; now, if u = class, this is false: every class of classes is a class.

— There is also an error in his theory of real (reel) numbers. He takes it as self-evident that a denumerable series all of whose terms are the rational number r define a real (reel) number which is not different from r. Now this is false. But to develop this error I would need a very long argument.

We have had a delightful visit from Halévy: he and I had some excellent philosophical discussions. We hope to see you and Mrs Couturat in Cambridge during February. Do you know yet if you will be able to come? I would love to show you our beautiful university and to discuss my philosophical questions. With my best wishes to Mrs Couturat, and receive the assurance of my cordial dedication.

Yours
Bertrand Russell

Publication
Schmid, Russell—Couturat 1: #70
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53167
Record created
Jul 29, 1996
Record last modified
Nov 22, 2025
Created/last modified by
blackwk