BRACERS Record Detail for 53164

To access the original letter, email the Russell Archives.

Collection code
RA3
Recent acquisition no.
422
Box no.
6.51
Source if not BR
La Chaux-de-Fonds Bib.
Recipient(s)
BR
Sender(s)
Couturat, Louis
Date
1900/10/01
Form of letter
ALS(X)
Pieces
4
Notes and topics

Leibniz mss. article on Congress for L'Enseignement Mathématique.

Transcription

LOUIS COUTURAT TO BR, 1 OCT. 1900
BRACERS 53164. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #67
Edited by A.-F. Schmid


Mon Repos, à Port Lesney (Jura)
le 1er octobre 1900.

Cher Monsieur,

J’ai attendu pour vous écrire que j’eusse la réponse de M. Léon au sujet de la question que vous m’aviez posée.a Je savais qu’il avait à cet égard les intentions les plus libérales, et, pour vous en particulier, les plus conciliantes ; mais j’aimais mieux vous donner une réponse autorisée et précise. Non seulement il ne voit aucun inconvénient à ce que votre mémoire paraisse en anglais, mais il le souhaite et s’en félicite ; il désire seulement qu’il ne paraisse pas avant le volume III du Congrès, qui doit paraître vers le mois de Février. Je pense qu’il ne vous coûtera pas d’attendre cette époque, puisque la lecture doit avoir lieu, dites-vous, en janvier, et j’espère que ce petit arrangement vous satisfera pleinement.

Je vous remercie de l’éloge que vous voulez bien faire de notre Congrès, parce que je vousb crois incapable d’une flatterie. Pour moi, j’ai conservé surtout un souvenir lumineux de la séance générale, où je vous avais fait inscrire, et où vous avez discuté avec M. Poincaré. La discussion du mémoire de M. Poincaré a été une des plus belles et des plus intéressantes ; j’ai pu la reconstituer complètement, grâce aux notes de MM. Poincaré, Painlevé et Hadamard. Vous avez pu la lire dans le n° de septembre de la Revue de Métaph. qu’on a dû vous envoyer comme à tous les auteurs de mémoires.

J’ai écrit ces jours-ci pour la revue l’Enseignement mathématique un compte renduc partiel et abrégé des séances de la Section III. J’ai dû, faute de place, choisir les mémoires les plus propres à intéresser les mathématiciens de profession, et me contenter de citer le titre du vôtre, comme trop purement philosophique. Je n’ai pas encore pu me faire une opinion sur votre thèse si hardie et si spécieuse, quoique paradoxale. J’aurai l’occasion de relire votre mémoire imprimé. Comme vous le dites fort bien, la question repose sur toute une Logique nouvelle. Je suis d’accord avec vous pour mettre au rebut à la fois la syllogistique d’Aristote et la théorie de l’induction de Mill. Il s’agit maintenant d’édifier à leur place une Logique moderne et scientifique, à forme mathématique et déductive.(1) Ce sera notre œuvre, ou l’œuvre du XXe siècle. Peut-être Leibnitz, ce génie précurseur en tout, nous fournira-t-il quelques suggestions. Vous verrez dans mon livred sa Logique des probabilités, c à d de l’expérience et de l’induction.

— Vous vous étonnez qu’on ne publie pas tout qui reste de Leibnitz : mais c’est une œuvre formidable : elle remplirait peut être 100 volumes ; et c’est une œuvre bien ingrate, car il y a beaucoup de brouillons informes, de notes sans suite, de redites, de ratures, etc. Néanmoins, il le faut, car tant que cela ne sera pas fait, on ne connaîtra pas le fond et l’histoire de sa pensée. Ce que l’on peut toutefois reprocher à Gerhardt, et aux autres éditeurs, c’est, non pas d’avoir fait un choix dans ce fouillis, mais d’avoir fait un choix absurde, maladroit et incomplet. On croirait vraiment que Gerhardt a évité avec soin d’imprimer toutes les pièces datées. Or j’en ai relevée 47f datées, presque toutes du mois et du jour (la plupart des années 1676, 1678 et 1679) et qui permettent par comparaison d’en dater beaucoup d’autres, de sorte qu’on peut reconstituer l’évolution de la pensée de L. an par an et presque jour par jour. Il a élaboré son plan d’Encyclopédie, son projet de Langue universelle et son Calcul logique en 1676–79 ; puis, il y est revenu en 1686, au moment de la constitution de son système (dans le célèbre Discours de Métaphysique dont le sommaire a servi de base à la discussion avec Arnauld) dans un grand opuscule intitulé : Generales Inquisitiones de Analysi Notionum et Veritatum, qui se rattache à la fois au Discours et au De Cognitione, Veritate et Ideis. Enfin il est revenu en 1690 à son Calcul logique, et a essayé tour à tour trois ou quatre systèmes différents, sans arriver à se satisfaire. La cause de son échec a été un attachement excessif à la Logique d’Aristote, qui fait qu’il voulait justifier à tout prix la subalternation et la conversion partielle, qui, comme vous le savez, sont reconnues fausses par la Logique moderne. Sans cet obstacle imaginaire, il inventait le Calcul de Boole, dont il avait toutes les idées et les formules fondamentales (notamment l’idée de la double interprétation en concepts et en propositions, ou, comme il disait, de l’analogie des prop catég. et des prop hypoth.). J’ai trouvé des morceaux très intéressants, même pour sa métaphysique. J’ai retrouvé et copié la suite et la fin du Specimen Calculi universalis, que Gerhardt avait négligée, ainsi qu’un morceau des Addenda ad specimen.... qu’il avait supprimé on ne sait pourquoi. Je vais faire imprimer tout cela le plus tôt possible, avant mon livre personnel, pour pouvoir y renvoyer ; et j’y mettrai des Index et des Tables diverses pour en faciliter l’usage et la lecture.

— Je suis bien aise que vous étudiiez Peano ; c’est lui qui m’a initié à la Logique algorithmique. Je ne goûte pas son symbolisme, mais je reconnais, avec vous, qu’il a apporté, ainsi que son école, de précieuses contributions à la Logique des Mathématiques. L’école italienne a certainement brillé à notre Congrès; et je l’ai dit dans mon article de l’Enseignt. mathém. Il est dommage qu’elle se soit opposée (ainsi que M. Schröder) au projet de Langue universelle et l’ait fait échouer au Congrès des Math.

Veuillez me rappeler au bon souvenir de M. Whitehead, et lui rappeler l’article qu’il nous a aimablement promis.

Nous vous remercions de votre invitation pour l’hiver prochain; nous ne savons pas encore si nous pourrons nous y rendre, mon sort universitaire n’étant pas encore fixé ; mais nous ferons tout notre possible, vous n’en pouvez douter. En attendant, je vous prie de présenter à Madame Russell mes respectueux hommages, avec les meilleurs souvenirs de ma femme, et de recevoir l’assurance de mon cordial dévouement.

Louis Couturat

P. S. M. Cadenat a passé ce matin une heure avec moi, en revenant de Paris. Il m’a chargé de tous ses compliments pour vous. Il a vu à Paris M. Gauthier Villars qui lui a fait espérer le prochain achèvement de notre travail. Le retard provenait, paraît-il, de ce qu’on manquait de caractères plus petits pour l’appendice.

P. S. Ecrire toujours : 7, rue Nicole. Nous ne savons pas jusqu’à quand nous resterons ici.

(1) A propos, avez-vous lu les Logische Untersuch. de Husserl ? Il démolit la Logique psychologistique.

Textual Notes

  • a

    posée [me posiez]{m’aviez posée}

  • b

    vous {vous} au-dessous de la ligne

  • c

    rendu sic

  • d

    livre {dans mon livre}

  • e

    relevé [dans]

  • f

    47 souligné trois fois

Publication
Schmid, Russell—Couturat 1: #67
Permission
Everyone
Transcription Public Access
Yes
Record no.
53164
Record created
Jul 29, 1996
Record last modified
Nov 22, 2025
Created/last modified by
blackwk