LOUIS COUTURAT TO BR, 6 JULY 1899
BRACERS 53136. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #39
Edited by A.-F. Schmid

Caen,
le 6 juillet 1899.

Cher Monsieur,

Je vous remercie bien vivement de votre adhésion, et de la communication que vous nous faites espérer. Je pense que vous trouverez aisément un sujet à traiter, parmi ceux que vous étudiez en ce moment. C’est au mois de novembre que sera arrêtée la liste des communications ; vous avez donc du temps pour réfléchir et vous décider. Je suppose que les communications devront être en français ; mais cela ne vous gênera pas beaucoup, je crois, et en tout cas, je m’offre volontiers à revoir votre français, en général fort correct.

Je vous remercie aussi des indications de noms que vous me donnez, et dont nous profiterons. Nous avons déjà des adhésions fort importantes à l’étranger, en Allemagne surtout : Zeller, Paulsen, Deussen, Eucken, K. Fischer, Natorp, Riehl, Vaihinger, Stein ; en Angleterre : Seth et Ritchie ; en Amérique : Baldwin ; Korteweg en Hollande ; Höffding au Danemark ; Labriola, Cantoni, Vailati en Italie. Parmi vos compatriotes, nous nous adressons à Caird, Stout, Sidgwick, Bradley, Bosanquet, et à ceux que vous me désignez. Si vous voyez encore d’autres philosophes, connus ou peu connus, ainsi que des savants à l’esprit philosophique, je vous prierai de me les signaler à l’occasion (Mac Taggart et Whitehead sont invités).

Je viens de lire le compte rendu de votre livre dans le Mind par M. Moore. Je trouve que la discussion est un peu superficielle et verbale, les arguments, assez spécieux, sentent la logique scolastique ; ils manquent évidemment d’un contenu ou d’une base scientifique. Certains me font l’effet de sophismes ou de jeux de mots, par exemple le cercle vicieux de l’a priori et de l’expérience, ou la pétition de principe impliquée dans toute vérité nécessaire. Je ne crois pas que vous deviez tenir grand compte de ces critiques, trop formelles à mon avis, malgré leur incontestable ingéniosité et subtilité. Je vous ai reproché autrefois,a en plaisantant, un abusb de scolastique dans vos discussions (dans votre article du Mind surtout) ; mais vous avez trouvé votre maître en fait de scolastique, et vous devez sentir ce que cette façon d’argumenter a de sec et de vide au fond. En somme, la Logique et la Critique sont deux choses bien différentes, et la Logique n’a rien à voir dans la Critique ; elle ne peut que la troublerc et l’égarer, en lui suscitantd des difficultés imaginaires. Il ne faut pas avoir trop peur des cercles et autres épouvantails ; il faut avoir la foi selon le mot de D’Alembert (Allez en avant, et la foi vous viendra).

Pour votre réponse à M. Poincaré, vous pouvez lui donner tous les développements que vous jugerez nécessaires pour bien expliquer et justifier votre théorie. On est sûre d’avance qu’ils seront intéressants et instructifs, et que vous ne pécherez jamais par prolixité.

Veuillez agréer, cher Monsieur, l’assurance de mes sentiments sympathiques et dévoués.

Louis Couturat

P. S. Vous recevrez le prospectus-programme du Congrès, qui va paraître prochainement.

Textual Notes

• a

  autrefois {autrefois}au-dessous de la ligne

• b

  abus [excès]{abus}au-dessous de la ligne

• c

  troubler [gâter]{troubler}

• d

  suscitant [faisa]

• e

  sûr [sait]{est sûr}