BRACERS Record Detail for 53126
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LOUIS COUTURAT TO BR, 30 APR. 1899
BRACERS 53126. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #28
Edited by A.-F. Schmid
Caen,
le 30 avril 1899.
Cher Monsieur,
Je vous ai écrit il y a une huitaine de jours à Haslemere. Je n’ai toujours pas de nouvelles de M. Cadenat ni de son manuscrit, et je viens de lui écrire de nouveau.
Le compte-rendu que j’ai fait de votre livre vient de paraître dans le Bulletin des Sciences mathématiques. Je l’ai vu à la Bibliothèque, mais je n’en ai pas reçu un seul exemplaire, de sorte que je ne puis vous l’envoyer, à mon grand regret. Mais vous le trouverez facilement à l’Université, si vous y êtes, comme je le suppose, en ce moment. J’ai reçu ces jours-ci une épreuve du long article que M. Poincaré vous consacre (27 pages !). Je l’ai corrigé, et j’ai envoyé la traduction française de huit ou dix passages que M. P. a cités en anglais (ce qui ne se fait pas chez nous, et est assez gênant pour la plupart des lecteurs). J’aurais voulu pouvoir vous en envoyer une épreuve, et j’en ai demandé une à M. Léon, s’il est possible, afin que vous connaissiez plus tôt les critiques de M. P. et que vous ayez plus de temps pour préparer votre réponse éventuelle. En tout cas, je vous envoie la copie de sa conclusion qui signale les deux principales questions à débattre. (Il ne semblea pas avoir lu votre article de la Revue de Métaphysique, qui me paraît avoir répondu à la première). Sa critique est d’un ton assez vif et un peu mordant parfois ; sans méchanceté au fond, mais avec des boutades humoristiques et des pointes. J’ai étéb un peu choqué d’une phrase où il parle de votre brouillard, et qui me paraît injuste. Il semble me reprocher d’avoir fait de votre livre un éloge exagéré, tout en avouant qu’il contient « des pages excellentes ». Pour ce qui est du fond de sa critique, elle est assez décousue : ce sont surtout des discussions de détail, où il est difficile de saisir sa véritable pensée. Son attitude d’esprit est surtout polémique et sceptique. Sa thèse essentielle (vous la connaissez bien) est que les postulats sont des définitions déguisées, et que par suite ils ne sont ni vrais ni faux, ni empiriques, ni a priori. Il combat donc l’apriorité des uns et l’empirisme des autres, et c’est pourquoi il vous demande quelle expérience pourrait vérifier le postulatum d’Euclide, alléguant que toute expérience qui le contredirait serait susceptible d’une interprétation physique compatible avec Euclide, aussi bien que d’une interprétation géométrique non-euclidienne. D’autre part, il vous reproche de faire appel à des notions non définies et équivoques (forme, distance, égalité quantitative, etc.) où il ne voit, pour sa part, que des conventions arbitraires. Voilà ce que je peux vous dire pour vous donner une idée de sa discussion. Je vous l’enverrai le plus tôt possible. Je pense que vous n’avez pas à vous en inquiéter, et qu’il vous sera facile d’y répondre, de la position criticiste très ferme et très forte que vous occupez.
Veuillez présenter mes meilleurs hommages à Madame Russell, avec les bons souvenirs de ma femme, et croire à nos sentiments bien cordiaux et dévoués.
Louis Couturat
