BRACERS Record Detail for 53125
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LOUIS COUTURAT TO BR, 20 APR. 1899
BRACERS 53125. ALS. La Chaux-de-Fonds Bib., Suisse. Russell–Couturat 1: #27
Edited by A.-F. Schmid
Caen,
(33, rue des Jacobins.)
le 20 avril 1899.
Cher Monsieur,
Je me reproche de vous avoir négligé depuis plus de deux mois. Mon excuse est dans mes nombreuses et absorbantes occupations, auxquelles sont même venues se joindre (hélas !) des préoccupations d’ordre politique : j’ai eu une petite polémique avec M. Brunetière (le directeur de la Revue des Deux Mondes) au sujet de Kant et de la paix perpétuelle. Mes études de Logique m’ont beaucoup occupé aussi ; j’ai profité des congés de Pâques pour écrire un article (depuis longtemps promis) sur Peano ; M. Whitehead aura son tour aux grandes vacances. Il m’est impossible d’écrire quoi que ce soit avec suite pendant que j’ai à préparer mes leçons et conférences. — Depuis votre dernière lettre, j’ai corrigé suivant vos indications les notes philosophiques et les ai envoyées à M. Cadenat. Je l’ai amené (non sans peine) à renoncer à son projet de bibliographie universelle de la Géométrie non-euclidienne, qui dépassait les limites de votre ouvrage, et dont j’aurais été obligé de me charger, vu qu’il n’a aucunes ressources pour cela. Nous nous sommes contentés d’ajouter à votre note de la p.a 114 (§ 100) quelques articles de M.M. De Tilly, Mansionb etc Lechalas, et de citer dans une note à partd les comptes-rendus de votre livre et votre article de la Revue de Métaphysique, qui forme le complément naturel de votre ouvrage. Pour l’épigraphe, nous mettons le texte allemand suivi de la traduction française, avec la signature de KANT, sans indication d’origine, conformément à votre désir quelquee peu malicieux. M. Cadenat a envoyé le manuscrit à Gauthier Villars dans les premiers jours du mois de mars ; le 24 mars, il n’avait pas encore reçu de réponse. Depuis, je n’ai plus de nouvelles. Je commence à être inquiet, soit sur le sort du manuscrit (qui n’a pourtant pu se perdre) soit sur celui du traducteur : M. Cadenat se disait en effet fatigué et souffrant ces derniers temps : il s’est surmené pour ce travail nouveau pour lui, et plus lourd qu’il ne croyait ; surtout venant s’ajouter à son travail professionnel déjà fatigant. — Je crois que la maison Gauthier-Villars, très occupée par les publications périodiques (elle imprime presque toutes les revues scientifiques françaises) fait attendre notre ouvrage, et a négligé d’en accuser réception. Si je n’en ai pas de nouvelles bientôt, je leur écrirai pour savoir ce qu’il en est au juste, et vous en informerai. On s’arrangera pour vous envoyer les épreuves au fur et à mesure.
Mon ami Léon de la Revue de Métaphysiquef vient de m’apprendre qu’il a reçu de M. Poincaré un long article où il discute vos théories, et qui va paraître dans le n° de mai (vers le 15.) On vous le fera parvenir. Vous considérerez, j’espère, comme un honneur d’avoir provoqué un tel contradicteur, et surtout de l’avoir fait sortir de son laconisme habituel. Sur le fond du débat (sans savoir exactementg de quoi il s’agit) je ne suis pas inquiet : autant votre thèse criticiste est solide, autant son nominalisme d’analyste est vide et inconsistant : si grand mathématicien qu’il soit, il lui manque une éducation philosophique spéciale, et la pleine intelligence du système de Kant. Je crois que vous aurez facilement raison de lui sur le terrain philosophique ; mais sa discussion ne sera pas moins intéressante et instructive, au moins au point de vue mathématique.
Veuillez présenter mes hommages, avec les meilleurs souvenirs de ma femme, à Madame Russell, et me croire toujours
Votre cordialement dévoué
Louis Couturat
